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Atôra, un petit coin de campagne au nord-est de l'île Honshu, Japon.
Un vieux moine aveugle.
La quiétude d'un jardin zen, les saisons qui avancent se font éternelles.
Un peintre qui transpose son art et celui du jardin sur des éventails.
Des haïkus contemplatifs.
Même une ancienne courtisane, maitresse des lieux.
Les seins d'une jeune femme qui se bercent comme le lys au vent.
Oui, ce roman a tout pour me plaire, tout pour attirer au moins mon attention.

Je m'installe donc dans ce jardin que des âmes millénaires ont contemplé, que le vent a immuablement soufflé de son refrain, la neige étouffé de sa candeur. le vieux moine aveugle psalmodie ses sutras ; le soleil distille ses rayons sur le lac, la belle pucelle aux longs cheveux lisses comme des lianes de saule nage nue ; les grues cendrées s'envolent, je la regarde, l'oeil amoureux, ma bière qui s'évente, l'air qui se fait étouffant.

J'en apprends un peu sur ces êtres qui tournent autour de ce jardin, mais je me sens perdu. Je n'arrive pas à me concentrer. J'y avais mis beaucoup de coeur, trop d'attente certainement, dans cette balade bucolique entre montagne et mer. Je ne connaissais pas encore Atôra, ni même Matabei, disciple du peintre, sérieux candidat pour chavirer l'âme fleurie de cette jeune fille, disciple de la courtisane. Et plus je m'aventurais dans la profondeur de cette toile, plus j'enrageais de rester si froid, presque hermétique, à l'univers décrit par l'auteur. Hubert Haddad éclaire de sa plume ce texte, à moins que cela soit le clair de lune qui illumine ses pages. Je le découvre aussi, mais fait preuve de suffisance face à cette histoire. La motivation ne suffit pas, je manque de concentration et mon esprit s'évade déjà entre les saules et les ormes de ce jardin, l'oeil à la recherche d'une naïade au corps caramélisé par le soleil, blanchi par la neige. Je m'en veux, terriblement, profondément.

Il a fallu qu'un élément se déclenche pour me remettre sur la ligne de flottaison. Les cygnes s'envolent au milieu des canards, les oiseaux chantent toujours innocemment, mais les cigales se sont tus. Les Dieux ont un message, et ma lecture devient subitement plus intéressée. J'oublie la magie des lieux, la jeune femme a disparu, la terre gronde, la vague submerge. Il a fallu donc que ce 11 mars 2011 entre en jeu pour que mon esprit soit capté par ce roman. Triste à dire, triste à lire. La désolation se lit sur les pages qui suivent, la terre inondée, la terre brûlée par le sel, des cadavres, des explosions et des gens que l'on déporte, 10 kilomètres autour, puis vingt, puis trente. Plus personne dans la zone, à part quelques vieux irréductibles qui veulent mourir sur leur terre, ou Matabei qui cherche sa naïade.
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“La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c'est bien la seule chose qui importe. Il s'épanouira dans une palpitation insensée d'éventails.”

Au Japon, dans la contrée isolée d'Atôra - district de Futuba - entre montagne et Pacifique, le professeur Xu Hi-Han, disciple de Matabei Reinen, nous raconte la vie de son maître, le peintre d'éventail, dont “l'histoire fut comme le vent, à peu près aussi incompréhensible aux autres qu'à (lui)-même.”

C'est une histoire tissée de hasards qui se déroule principalement au sein de la pension de famille de dame Hison, une ancienne courtisane, “un lieu d'oubli plus que de sérénité, un lieu pour disparaître aux autres ou à soi” où il trouva un jour refuge après le décès pour lui traumatisant d'une jeune fille inconnue et qu'il a vue mourir. Une histoire qui ressemble à un conte où des personnages solitaires et singuliers traversent comme dans un songe les haïkus, les délicats agencements des jardins et le souffle des éventails...

"Le peintre d'éventail" est un récit initiatique plein de profondeur et de finesse où la poésie se nourrit de contemplation, de spiritualité et de philosophie. J'en ai aimé la belle écriture, le soin apporté à la description de la nature et des paysages, le rythme pensif et lent et le regard porté sur l'art. Et je me suis attachée à ce beau portrait de peintre “qui n'aura vécu que d'espérance jusqu'à l'heure du chaos”, que le hasard des rencontres, des circonstances et de la tragédie finale révèle peu à peu à lui-même et qui s'efface sans bruit car “les vrais maîtres vivent et meurent ignorés et (on ne peut) espérer plus belle équité en ce monde”.

Une belle méditation, que j'ai beaucoup aimée, sur l'impermanence des choses et sur ce qui, malgré tout, demeure.

[Challenge Multi-Défis 2020]
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C'est pour fuir les démons qui le hantent et que la vie trépidante du Japon moderne n'a pas la moindre chance d'apaiser que Matabei se réfugie chez Dame Hison, qui règne sur une petite communauté bigarrée, loin des tumultes de la ville sur l'île d'Honshu. La petite pension cache un trésor inestimable : crée et entretenu par Osaki Tanako, un jardin merveilleux réjouit le regard. Dompter la nature et la sublimer en l'immortalisant sur de fins éventails : Matabei est séduit et devient le disciple de l'artiste.

Mais le feu couve sous les cendres et l'harmonie est un équilibre fragile que les passions humaines sont promptes à disloquer. Sans compter qu'un drame autrement plus destructeur viendra douloureusement accréditer la thèse de l'impermanence...
Dans un Japon contemporain, clairement bien connu et compris, le drame collectif vient balayer la vanité des conflits triviaux, animés par des passions dérisoires.

Toute la magie de ce roman est portée par la finesse de l'écriture, aussi précise et artistique que les créations d'Osaki. La poésie et la magie qui se dégagent du teste fait accéder le lecteur à l'émerveillement que produit la contemplation de l'oeuvre picturale du maître des éventails.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Le peintre d'éventail représente un véritable travail d'orfèvrerie littéraire.

Dans la pension de Dame Hison, ancienne courtisane, viennent se réfugier des êtres abîmés. Son auberge et ses environs forment un microcosme où le temps semble s'être arrêté. Une autre caractéristique de l'endroit est le magnifique jardin. Hubert Haddad rend justice à la nature par de superbes descriptions poétiques émaillées de haiku. le jardin, rassemblant en un seul organisme les multiples sortes de jardins japonais, devient un personnage du roman à part entière si ce n'est le personnage principal.
Il est également question ici de la transmission du savoir afin que la beauté ne se perde pas. A travers les expliquations données au jeune Hi Han, Haddad résume les conceptions fondamentales de l'esthétique japonais basées sur la recherche d'une perfection inachevée, dans le respect du concept "wabi sabi", ou recherche de l'élégance épurée.

Si la première partie du roman offre une vision assez contemplative, la seconde partie voit les forces de la nature et des hommes se déchaîner sur cet endroit retiré. Ce presque paradis perdu est alors emporté par la réalité dévastatrice. Pourtant, la vie s'accroche et permet de retrouver la beauté même au coeur de la fange.

J'a découvert cet auteur avec ce livre. Son écriture m'a beaucoup émue par sa grande sensibilité et par la qualité évocatrice de sa poésie.
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Le peintre d'éventail est un livre à lire lentement, en apesanteur, peut-être à lire autrement. Je préconise de lire ce roman de préférence perché dans un arbre, ou bien sur un rocher devant la mer et en définitive, si vous n'avez ni arbre, ni océan sous la main,- ce qui parfois peut arriver, alors perdez-vous avec ce livre dans le fin fond d'un désert, loin du vacarme du monde...
Hubert Haddad, son auteur, est un écrivain rare, qui ne fait pas de bruit, chacun de ses livres est une offrande, un chemin qui chemine, une respiration qui s'égare, un reste de rosée du matin posé sur la peau de l'être aimée. Voilà comment je vois un peu cet écrivain que j'ai découvert il y a très longtemps, je crois qu'il s'agissait de son premier roman Perdu dans un profond sommeil, il n'est d'ailleurs pas répertorié sur Babelio. Je sens que je vais y remédier dans pas longtemps, mais à condition de le relire...
Le peintre d'éventail, c'est comme un jardin où l'on descend pieds nus. On voudrait que l'être aimée soit seule à entendre le frémissement d'une pluie qui tombe sur les pages des arbres et cela serait le signal mystérieux, magique presque, d'une invitation à venir.
Ce récit est une déambulation...
Autour, il y a le bruit et la fureur, le monde qui ne sait pas se retirer sur la pointe des pieds, qui ne sait pas se retenir... Entrer dans un jardin, c'est comme entrer dans une cathédrale vide, vide de ses prêches et de ses foules, c'est comme venir dans un coeur qu'on aime, c'est comme prier sans croire en Dieu, c'est comme vivre dans l'absolue liberté qui nous a vu naître...
Sans doute les jardins, quels qu'ils soient, ont cette merveilleuse faculté à savoir réparer les âmes un peu abîmées. Plus que jamais, nous avons appris et compris depuis quelques mois que les jardins étaient devenus nos seuls espaces de digression depuis que les bars, les salles de concert, les théâtres et les musées sont fermés.
Ce récit merveilleux porte un jardin ou c'est peut-être l'inverse, mais cela n'a pas d'importance car nous sommes prêts à être renversés dans ce texte magnifique, tendu vers une tragédie universelle, celle du 11 mars 2011, le tsunami qui a dévasté le nord-est du Japon et provoqué le désastre nucléaire de Fukushima...
Hubert Haddad nous invite au fin fond de la contrée d'Atôra, au nord-est de l'île de Honshu. Nous nous glissons dans les pas de Matabei Reien, c'est lui le personnage principal, celui-ci cherche à fuir son passé qui le hante et finit par échouer dans une pension à l'écart du monde, la pension de famille de Dame Hison, une ancienne courtisane...
De multiples personnages venus se mettre en retrait pour différentes raisons, vont ici se croiser, s'effleurer, autour d'un jardin suspendu, hors du temps, comme un lieu catalyseur des douleurs et des blessures du passé, des attentes, des transmissions à venir.
Comme Matabei, parfois j'ai rêvé de devenir le disciple d'un vieux jardinier, artiste et poète, qui me transmettrait son art... Mais le bruit du monde me ramène chaque fois au sol, me faisant à chaque pas encore ressembler à l'albatros de Baudelaire.
Hubert Haddad est un écrivain qui aime le Japon et bien que, connaissant peu ce pays et sa culture, je l'ai ressenti à chaque pas, dans cette lenteur presque hallucinatoire qui effeuille les pages de ce roman avec une grâce et une maîtrise de l'écriture. Parfois on pourrait être amené à penser que cette maîtrise ôte la spontanéité des personnages. Ne vous trompez pas ! Sous l'apparence des dessins finement ciselés sur la soie ou le papier, derrière l'architecture savante des haïkus, se cachent la sensualité des gestes, d'ardentes passions prêtes à dévaster des coeurs aussi violemment que les tsunamis...
Ce roman, c'est juste une quête de la beauté, chacun ira la chercher à l'endroit où ses pas ressentent le moins les sables mouvants...
Ce roman initiatique est une présence au monde rassurante, consolatoire, réparatrice, un jardin mis à l'écart des tentatives de l'apocalypse.
Si par ces quelques mots, j'ai pu vous donner envie d'aller à la rencontre de cet écrivain rare, Hubert Haddad, alors peut-être que ce soir un albatros sur un bateau d'équipage, s'apprête à reprendre son envol vers les lointains...
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Le narrateur raconte la vie de Matabei, un homme qui, suite à un accident, se retrouve dans la pension de dame Hison, ancienne Geisha, et apprend auprès du jardinier l'art de peindre les éventails et de trouver l'harmonie d'un jardin. le narrateur, Hi-Han, fut lui-même pensionnaire de la maison, et apprit auprès de Matabei son art, avant de s'enfuir à cause d'une femme qui avait séduit son maitre.

Cela faisait longtemps que je voulais découvrir Hubert Haddad, poète et écrivain, et à mon avis, je me suis trompée sur le livre avec lequel faire sa connaissance. Pour être honnête, je n'ai pas beaucoup (voire pas du tout) d'affinité avec la littérature asiatique, surtout quand elle est "contemplative". D'autre part, je n'aime pas les récits de troisième ou quatrième main : Haddad nous raconte le récit de Hi-Han qui nous conte la vie de Matabei qui nous livre celle du "vrai" maître d'éventails, Osaki Tanako, jardinier de la pension. Je trouve que c'est compliqué, on ne sait jamais qui raconte quoi, ni à quel moment ça se passe.
Ce livre est, grosso modo, divisé en deux parties. La première, qui raconte les passations d'expérience et de sagesse dans la pension de dame Hison, est essentiellement "contemplative", emplie de descriptions du jardin japonais, de la place de chaque essence, de sa couleur, de son intégration dans le tout... Comme je l'ai dit, je ne suis pas assez sage pour que ça me "parle" ou m'intéresse. A noter quand même, dans cette première partie, la galerie de personnages qui vivent à la pension, assez réussie et attachante (de la Coréenne sans enfant qui vit avec ses poupées aux amoureux discret et officieux ou même l'énervant mais drôle commerçant Monsieur Ho), mais pas assez approfondie à mon gout. Cette première partie voit également naitre et se développer la folie amoureuse de Matabei pour une jeune pensionnaire recueillie par Dame Hison, Enjo. Ca, c'est pareil, ça m'échappe : comment un homme qui maitrise tant de sa vie, qui introjecte son environnement, qui "cultive son jardin" (aux sens propre comme figuré) avec tant de rigueur et de minutie peut ne plus se contenir à la vue d'une jolie paire de seins ? La sérénité la plus totale en même temps que la folie amoureuse la plus paroxystique ? En fait, à dire vrai, j'ai trouvé cette folle passion un peu ridicule, comme ça, vue de l'extérieur, entre un vieux monsieur un peu sage qui perd la tête pour une jeunesse pas très sage !
Bref, la seconde partie est celle de la désolation, suite à un tremblement de terre provoquant un tsunami, et celle de l'errance de Matabei sur les ruines de son jardin, à la recherche d'Enjo. J'ai finalement préféré cette seconde partie, plus courte, plus intense émotionnellement (en tout cas, pour moi).
Que dire d'autres sur ce peintre d'éventails ? L'écriture de Haddad est recherchée, parfois alambiquée, ne fluidifiant pas le récit. Les quelques passages sur la peinture sur éventails (il y en a bien moins que sur l'entretien du jardin, mais il semble que ces deux actions ne soient que les deux faces d'une même activité) sont passionnants, et les Haïkus qui y sont inscrits sont inspirés.
Mais je suis globalement déçue de cette lecture...
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Nous connaissons le mont Fuji, peint par Hokusai ou Hiroshige, nous ne connaissons pas le mont Jimura. C'est pourtant le sujet d'un des trois éventails gardés, ou refaits par Matabei : l'un reproduit des oies cendrées volant dans la brume, le deuxième un pont suspendu au-dessus d'une rivière tumultueuse. Et le troisième la nature autour de la montagne.
Nous avons là, en résumé, trois thèmes centraux du roman :
- la cendre, celle des oies, « bientôt en cendres », celle des milliers d'esclaves coréens partis en fumée, celles du vieux peintre mort d'épuisement, les morts qui attendront de devenir cendres après le cataclysme, alors que l'incinérateur est en panne. Plus que tout, les cendres qui seront notre lot commun.
- les eaux dévastatrices, suite à un tremblement de terre qui touche l'ile de Honshu, l'ile principale du Japon.
- la peinture d'éventails, sur des papiers fragiles, symboles même de la permanence des couleurs et des formes, jointe à l'impermanence, « un éventail assombri s'agitait de temps à autre comme l'aile d'un papillon ».
Matabei fuit, après avoir été témoin de l'accident mortel d'une jeune fille percutée par une voiture. Il cherche sa voie et reprends des forces en jardinant avec le peintre d'éventails.
Jardin et peinture sont liés, car le jardin donne un spectacle à la fois immuable et toujours changeant selon les saisons, et il s'agit de s'adapter au changement de la nature. La peinture par lavis de ce jardin peut être recommencée indéfiniment et constitue une trace tangible figée.
Changement perpétuel et reproduction inchangée, voilà un premier paradoxe.
Poésie et cataclysme, deuxième paradoxe.
Les pierres, les massifs, les arbustes, doivent être regardés pendant des heures pour livrer leur secret, « l'ultime nudité du fond ». Et cependant, paradoxe, un aveugle voit encore mieux, s'extasie sur la beauté des éventails, comme si voir n'était pas si nécessaire.

Hubert Haddad, par un seul mot, reprend lui aussi son ouvrage : Matabei fuit, parce que c'est lui l'assassin involontaire.
Les rivières suite au séisme, sont sans doute soulevées par un tsunami, ou comme conséquence de l'accident nucléaire de Fukushima, de 2011, or le peintre d'éventail a été écrit en 2013. L'auteur glisse plusieurs fois le mot « irradiation ».

Serait-ce le secret de ce livre ? apparemment une réflexion sur les jardins et la peinture de ces jardins, il introduit par petites touches des amours décrites dans le détail, des catastrophes, de la jalousie, de la culpabilité, des morts, jusqu'à la destruction du jardin et du lieu de vie.
Les peintures, cependant, reproduisent ce jardin détruit « en une somme magique d'inachèvements. ».

Il attendait, ce livre, et la chronique il y a peu de Sandrine @hundredDreams me l'a fait ressusciter, comme le jardin sur les éventails.
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Hubert Haddad est un auteur que je rencontre pour la première fois. Il fait partie de ces auteurs que je souhaitais lire depuis longtemps. Mon choix s'est porté sur « le peintre d'Eventail » en raison de mon attachement à l'art et la nature. J'avais envie de me promener dans ce jardin d'Eden encadré d'un côté, par les montagnes et de l'autre, par le bleu de l'océan.
Le végétal, le minéral et l'animal avec pour écrin, le Pacifique.

*
Témoin de la mort d'une passante dont le dernier regard rivé sur le sien le tourmente et l'obsède, Matabei choisit de se retirer au nord-est de l'île de Honshu. Il loue une chambre dans une paisible pension de famille tenue par une ancienne geisha, Dame Hison.
Attenant à l'auberge, se trouve un jardin magnifiquement entretenu par un vieil homme, maître Osaki. Matabei se lie au vieux jardinier, découvrant en lui un extraordinaire talent pour la peinture d'éventail et l'écriture de haïkus. Matabei deviendra bientôt l'élève du vieillard, apprenant l'art du jardin, l'écriture de haïkus qui retranscrit les émotions que lui suggère la nature, la technique du lavis sur des éventails de papier et de soie.
Hubert Haddad effleure avec beauté cette technique picturale, ma curiosité pour la peinture aurait mérité d'entrer de manière un peu plus approfondie dans les détails de cet art traditionnel.

« Depuis sa chambre, Matabei considérait avec une profonde émotion les gestes du peintre. Une sérénité d'un autre siècle émanait de ce globe de clarté au sein duquel un éventail assombri s'agitait de temps à autre comme l'aile d'un papillon de nuit. »

*
L'âme du poète et le regard sensible de maître Osaki fusionnent délicatement pour les transposer à l'esthétique du jardin. Ainsi, l'artiste reproduit l'art des lavis au jardin, jouant sur les perspectives, les couleurs, les formes pour guider l'oeil des promeneurs. Chaque massif, chaque plante sont pensés pour former un ensemble équilibré et harmonieux.

« Il travaillait au jardin en artiste, attentif à la métamorphose des saisons. »

C'est avec plaisir que l'on découvre ce jardin perdu entre océan et montagnes, entre forêts de bambous et lac : par petites touches impressionnistes, Hubert Haddad restitue avec poésie, la douceur et l'harmonie du lieu, les jeux de lumière et de couleurs sur les massifs floraux, les chants d'oiseaux, le clapotis de l'eau du bassin dans lequel nagent des carpes koï.

« On y échappait à la loi commune pour l'amour ou par la désespérance ; c'était un havre d'oubli plus que de sérénité, un lieu pour disparaître aux autres ou à soi. »

Hubert Haddad, par la force de son écriture, provoque de douces émotions, appelle à la contemplation et aux rêveries.

*
« le peintre d'Eventail » est avant tout un roman d'atmosphère dans lequel viennent enchâsser de magnifiques haïkus.

« Bec et plumes
l'encre est à peine sèche
qu'il s'envole déjà »

Hubert Haddad décrit, à la façon d'un poète. Son écriture, particulièrement belle, sensible, mélodieuse, recherchée et métaphorique, se pare d'images dans un kaléidoscope de couleurs, de sonorités, de parfums et d'émotions, pour tisser, en toile de fond, ce merveilleux jardin. C'est une estampe japonaise qui fait naître des sensations et des impressions.

« Créer des paysages, … c'est assimiler la loi d'asymétrie et le juste équilibre comme un art de vivre. Les chemins de rosée, les sentiers sous les arbres et les passes de gué avec tous ces riens échelonnés, cette pierre, l'eau vive d'une rigole, cette branche basse, voilà le parcours intérieur. »

La vie s'écoule doucement dans ce cadre hors du temps, rythmée par le calme et l'harmonie du jardin, le chant des oiseaux, les confidences discrètes des deux hommes, les résidents de la pension, dessinant lentement le carrousel de la vie avec ses bonheurs et ses maux, ses passions et ses drames intimes.
Le passage du temps entremêle subtilement passé et présent.

Le lecteur trouve une forme d'apaisement dans ce décor silencieux empli d'éclats de lumière et d'ombres, de sensualité et de déchirements, de pudeur et d'impudeur.

« Trempée de rosée
dans les parfums de cent fleurs –
tu t'éveilleras »

Mais pour ma part, tout en étant admirative de la prose de l'auteur, l'histoire, trop contemplative, parsemée de longueurs, a eu aussi pour effet de me détacher insensiblement de ce jardin et de ses habitants.
Mon esprit s'est mis à vagabonder, à flâner, à voyager entre douceur et douleur, tendresse et tristesse, jusqu'à ce qu'un drame inattendu me sorte de mes rêves et me ramène à la brutale réalité. Dans les tourbillons enchevêtrés de l'horreur, les évènements passés et présents prennent une direction imprévisible.

Hubert Haddad évite subtilement l'écueil du sentimentalisme. Au contraire, j'ai vraiment aimé cette rupture soudaine et violente avec l'atmosphère de cette première partie. L'ambiance cataclysmique est magnifiquement rendue, c'est douloureux, tragique, émouvant, poignant. C'est très étrange de dire cela, j'ai trouvé de la beauté dans le cheminement de Matabei.

« le chant éperdu des oiseaux de la forêt laissait croire à l'innocence du jour. Il avait rêvé de son vieux maître aux cendres délavées qui lui parlait du jardin des nuages et des fleurs de la mémoire. »

Une fois le livre refermé, mon impression sur le début de l'histoire s'est modifiée. En effet, à la lumière de l'ensemble du récit, je ressens autant un équilibre qu'une continuité entre ces deux moments bien distincts. C'est comme une boucle, un prolongement, un héritage qui se transmet et se perpétue entre maître et élève.

« On peut exprimer sa pensée avec des couleurs, des mots, mais aussi avec ce que tu vois : les plantes, l'eau et les pierres. Là, il faut compter avec l'adversité, le vent et la pluie, les saisons. le jardin vit de ta vie, c'est la différence… »

*
Tout au long du récit, se déploient des beaux thèmes autour de la transmission, de l'art qui fusionne avec l'intime et redonne du sens à la vie, de la mémoire et des souvenirs, du traumatisme et des regrets, de la nature qui s'invite dans les drames de la vie.

« Chant des mille automnes
le monde est une blessure
qu'un seul matin soigne »

*
Pour conclure, « le peintre d'Eventail » n'est pas le coup de coeur que j'attendais, mais c'est un joli roman initiatique parsemé de haïkus, émaillé de magnifiques passages descriptifs, avec pour toile de fond la nature, îlot de verdure où les hommes s'isolent, se reconstruisent, se rencontrent, se déchirent, s'aiment, s'éloignent, pleurent.
Un roman sensible et maîtrisé où le temps donne matière à des réflexions philosophiques.
Un roman sur la résilience que je recommande pour tous les amoureux de romans d'atmosphère, de beaux textes qui cisèlent la vie, la mort, le destin de chacun.

« La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c'est bien la seule chose qui importe. Il s'épanouira dans une palpitation insensée d'éventails. »
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Bienvenu à la pension de Dame Hison, havre d'oubli plus que de sérénité, lieu tout indiqué pour disparaitre aux autres et à soi. En y débarquant, Matabei, artiste à succès qui vient de causer la mort d'une jeune fille sur une voie rapide de Kyoto, est bien loin de se douter qu'il y rencontrera enfin son destin et que sa vie en sera transformée à jamais.

C'est un très beau roman sur le Japon, sur la peinture, sur l'art du jardin, sur l'impermanence, avec une dose de mystère, qui fait le charme des romans nippons. le plus fou des deux, de Matabei ou de Xu Hi-Han, n'est peut-être pas celui qu'on pense …

L'histoire se situe à notre époque si tragiquement contemporaine ; je ne m'y attendais pas, je croyais retrouver le Japon féodal du XIXème. Mais le roman n'en pâtit pas, que du contraire.

L'écriture est très dense, ce qui donne l'impression d'être dans un long poème, et très sophistiquée. Pour reprendre une expression du texte, je parlerai d'une écriture d'une « précision joaillière ». Pour ma part, mais c'est un avis tout à fait subjectif, je préfère une langue plus simple et moins travaillée, en tout cas en prose…. Mais c'est bien là le seul (petit) reproche que je ferai à ce roman.
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Matabei, peintre abstrait et designer connaissant un certain succès voit sa vie basculer ; au volant de sa voiture, au retour d'une virée à Kobe, une jeune fille traverse, il ne peut l'éviter, c'est le drame qui bouleversera sa vie.
Le roman débute quelques jours avant le séisme de Kobe de 1995 et s'achève quelques mois après le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011.
Après le décès à l'hôpital d'Osué, Matabei va tout quitter et s'établir dans une pension de famille de la région d'Atôra, c'est là qu'il achèvera sa vie, retiré, formé par Osaki Tanako à la peinture d'éventail et à l'entretien d'un magnifique jardin tel que peuvent les réaliser des maîtres japonais. À la mort d'Osaki, Matabei s'installe dans son pavillon et poursuit son oeuvre. le reste il vous faudra le découvrir vous-même à la lecture de ce merveilleux roman.
Le peintre d'éventail est d'une écriture très poétique, les descriptions sont magnifiques, les sentiments décrits avec pudeur et quelques Haïkus émaillent les récits ; ce roman est une vraie perle.
J'ai parfois eu l'impression, au lieu d'une histoire contemporaine, de lire un roman datant de plusieurs centaines d'années, tant la vie au pied de la montagne est intemporelle. À lire !
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