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Critique de beatriceferon


Le narrateur, un type un peu paumé, passe son temps à errer « dans l'appartement en quête d'un reste de vodka, ouvr[ant] et referm[ant] le frigo en pestant contre le fait qu'il n'y avait jamais rien à manger. »
A part boire et se vautrer dans le canapé devant des films qu'il visionne inlassablement, de façon hallucinée, il ne fait rien .
Il a bien écrit un scénario consacré à l'écrivain star de son panthéon personnel, mais personne n'en veut. Aussi, lorsqu'un ami lui donne le numéro de téléphone privé de Michael Cimino, se met-il à rêver de rencontrer ce réalisateur mythique et de lui faire lire « The great Melville ».
Je n'avais jamais rien lu de Yannick Haenel, quoique j'en aie entendu dire beaucoup de bien. Lorsque j'ai reçu la proposition, via une Masse critique privilégiée, de découvrir son nouveau roman, avant même qu'il sorte, j'ai sauté sur l'occasion.
Résumer ce livre est une tâche ardue, voire impossible : il n'y a pas vraiment d'histoire à proprement parler. Dès la première page, le lecteur est désarçonné par l'univers étrange d'un narrateur qui n'est jamais vraiment nommé, si on excepte un moment (à la page 81) où il est poursuivi par un homme qui l'interpelle « Jean, Jean ». J'ai lu que l'auteur utilisait ce prénom pour désigner un double de lui-même dans d'autres ouvrages. Je n'en sais pas plus. J'ai toutefois remarqué, ici et là, des allusions qui font penser que le narrateur ressemble à Yannick Haenel. Il est écrivain, fête son cinquantième anniversaire, évoque plusieurs fois le groupe des « renards pâles » (le titre d'un de ses précédents romans) et est fasciné par une carabine Haenel qui porte donc son nom. (Après vérification, j'apprendrai que cette arme existe bel et bien.)
S'il n'y a pas d'histoire, il y a néanmoins un fil rouge qui coud ensemble les étranges pièces de ce patchwork.
Notre homme est l'auteur d'un scénario de sept cents pages consacré à Herman Melville, un de ses dieux littéraires dont il constate que, en dépit de son talent, personne ou presque n'a lu les oeuvres. Michael Cimino est le seul capable de réaliser ce film qui représente « la pensée de Melville – la population de ses pensées. Cette population de pensées est un monde et même les livres et écrits publiés par Melville ne suffisent pas à donner une idée de l'immensité qui peuple la tête d'un écrivain comme lui. » Ce qu'il résume par une expression qu'apparemment il aime beaucoup puisqu'il la répète comme un leitmotiv : « l'intérieur mystiquement alvéolé de [sa] tête ». Il distillera donc sa quête tout au long de son roman, en l'interrompant par une foule de réflexions et d'anecdotes, d'épisodes tragi-comiques, de toute une galerie de personnages hauts en couleur, comme le Baron, Guy « le Cobra », la femme vêtue de fausse hermine, etc.
Le texte est ponctué par des listes de noms qu'il se répète comme des mantras, écrivains, réalisateurs, personnages de romans ou de films.
Les phrases très longues sont interrompues par d'innombrables parenthèses qui contribuent à égarer le lecteur, des formules en anglais, des citations de Melville, Fitzgerald, Shakespeare et quantité d'autres. Bien entendu, les références au cinéma sont légion. Notre héros analyse des passages de « Voyage au bout de l'enfer » et se passe en boucle et ad nauseam « Apocalypse now », établissant des parallèles avec la réalité. Il est, par exemple, obsédé par une scène de chasse au daim blanc qui se trouve déclinée sous diverses formes tout au long du récit.
Le personnage central est irritant au plus haut point (à mon avis). Il vit seul dans un appartement qu'il va bientôt être obligé de quitter, et dans lequel il se comporte comme un vrai clochard, créant autour de lui un chaos indescriptible, passant son temps avachi devant son écran et se nourrissant principalement de hamburgers ou de la nourriture périmée qui traîne dans son frigo et surtout, buvant sans limite à tel point que cela me donnait la nausée. Par exemple, invité au restaurant, il avale plusieurs bouteilles de vin, du champagne, de l'armagnac et poursuit la soirée en faisant la tournée des bars, de telle sorte qu'il finit dans un coma éthylique, absolument incapable de se souvenir de ce qu'il a fait.
Pour répondre à cette démesure, des scènes de sexe orgiaques qui me mettent mal à l'aise.
Il se comporte comme un adolescent irresponsable. Avant de partir, son copain lui demande deux services a priori simples : sortir le chien et arroser les plantes. Autant cet ami est méticuleux (il a laissé sur des fiches des consignes bien précises, telles que brumiser la verdure, nettoyer le feuillage, respecter un régime de croquettes très strict pour le chien) autant le narrateur est bordélique : son appartement est jonché de canettes de bière, il se présente dans un restaurant chic avec un chien dont il a oublié la laisse, il pense ressusciter des végétaux réduits à l'état de squelettes grisâtres et cendreux en les plongeant simplement dans l'eau...
Tout le récit baigne dans une atmosphère mystique : l'ami s'appelle Tot (comme le dieu égyptien Thot, dieu du savoir et juge des âmes?) et le chien Sabbat. le cerf de Saint Hubert trotte allègrement au fil des pages, une scène dantesque se déroule face au retable d'Issenheim, les « Métamorphoses » d'Ovide fournissent l'épisode récurrent du chasseur Actéon transformé en cerf pour avoir surpris Diane au bain. Dans l'appartement désordonné, une sorte de sanctuaire rassemble des papyrus et une hirondelle, symboles de renaissance, tandis qu'une boîte oblongue en forme de cercueil abrite le manuscrit.
Le récit est ponctué d'anecdotes qui prennent la forme de scènes cinématographiques très visuelles : l'invitation au restaurant dont l'entrée est gardée par un maître d'hôtel arrogant et agressif qui ressemble à Emmanuel Macron et qui tourne au burlesque lorsque notre narrateur se croit poursuivi par deux moustachus. L'accident de voiture de Pointel avec un cerf sur une route déserte dans une forêt polonaise est proprement hallucinant. Il y a aussi un enterrement cauchemardesque, un film imaginaire résumé par Cimino et bien d'autres.
A la fin de ma lecture, je ressens un sentiment étrange. le livre est sans doute très riche et rempli de symboles ésotériques que je n'ai pas été capable de déchiffrer. Il est certainement très intéressant. Mais avec moi, la rencontre ne s'est pas faite. Ce n'est pas le genre de livres qui me plaît et je ne pense pas en lire d'autres du même auteur.
Ce qui ne m'empêche pas d'être très reconnaissante envers Babelio et son opération Masse critique, ainsi qu'aux éditions Gallimard qui ont eu la gentillesse de me permettre de le découvrir en avant-première.
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