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Citations sur Les crépuscules de la Yellowstone (28)

Mon hôtel, le Best Western Plus, surgissait avec autant de grâce qu’un amoncellement de parpaings d’un océan d’asphalte composé de parkings engorgés de poids lourds – dont les omniprésents camions-citernes – et de pick-up – presque tous blancs, ainsi qu’il sied à des véhicules de fonction destinés à promener les logos des compagnies – à perte de vue, et de voies de communication trop larges pour pouvoir être appelées « rues », dont émergeaient, dans un indescriptible désordre, d’innombrables entrepôts de toutes tailles mêlés à des immeubles – commerces, bureaux, appartements neufs de trois pièces à deux mille huit cents dollars par mois – avec lesquels ils avaient tendance à se confondre pour donner cette dantesque bouillie architecturale comme spontanément dégueulée par quelque monstre arachnéen dépourvu de cerveau.
Et tout ça démesurément espacé, éclaté, fragmenté, isolé, aux antipodes d’une densité habitée, comme un univers en expansion où chaque bâtiment était une étoile lancée sur sa propre course centrifuge et séparée des autres par des abîmes de vide cosmique. (…)
Je ne désirais plus qu’une chose : me garer quelque part et courir aux abris. Et c’était peut-être l’idée, la raison d’être de cette mer de goudron où il fallait rouler, se stationner ou crever. Je ne me demandais pas comment les humains réussissaient à y vivre, mais bien : où est-ce qu’ils vivent, au juste ?
En cherchant mon chemin à travers ce tissu urbain qui rappelait le jeu de construction d’un enfant enragé, j’ai fait l’expérience de me déplacer dans un lieu que n’illuminait pas la moindre idée. Je n’arrivais pas à diriger mes yeux vers quelque chose qui ne fût pas artificiel et d’une agressive fonctionnalité. Les lampadaires dominaient dans une écrasante proportion la végétation survivante constituée de minces bandes de gazon, d’étiques rangées d’arbres et de buissons rarissimes. Mais ne pas renoncer à l’espoir de voir briller la faible flamme d’un atome de beauté au fond de la fourmilière, n’était-ce pas déjà un signe de folie ? Si on avait confié à une agence de pub la tâche d’afficher l’avidité nue à la face du monde entier, elle n’aurait pu faire mieux que Williston. À Las Vegas, il y a au moins le jeu, l’étincelle du pari. Ici, la misérable transhumance de la version hyper moderne des losers de Steinbeck n’est le terreau que de l’ordinaire fleur noire du désir étiolé : prêt usuraire, prostitution, psychotropes et flacons de pilules.
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J’ai bien essayé de lui parler de la contamination des nappes souterraines par les produits toxiques utilisés dans la fracturation et des gaz à effet de serre émis par toutes ces torchères, mais il se levait déjà pour prendre son bagage dans le compartiment au-dessus de l’allée. Il m’a quitté sur le classique « conseil d’ami » : il ne parlerait pas trop de ça, à ma place. Le boum, c’étaient vingt nouveaux restaurants, des dizaines de commerces, un centre sportif de la grosseur d’un stade olympique, et est-ce que j’avais pensé au futur aéroport international ? La vérité, c’était que personne ne voulait que ça s’arrête.
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Depuis que les technologies combinées de la fracturation hydraulique et du forage horizontal avaient fait du Bakken le nouveau Klondike des compagnies pétrolières, environ dix mille puits avaient été forés. La grande plaine où paissaient autrefois les bisons s’était couverte de derricks hochant leurs familières « têtes de chevaux » pour pomper un million deux cent mille barils par jour équivalant à 12,5 % de la production totale des États-Unis. (…)
Lui-même, qui pouvait avoir trente ans, était originaire de la vallée de la Cheat River en Virginie-Occidentale, région montagneuse dont ses ancêtres venus d’Irlande avaient coupé les immenses résineux à la hache et au godendard pour de prospères industriels new-yorkais au tournant du XXe siècle. Après avoir rasé la forêt, on avait éventré les montagnes, et les fils de ces bûcherons s’étaient retrouvés mineurs de charbon au pays des hillbillies. Leur petit-fils, qui me faisait la conversation pendant que la voix douce et feutrée d’une agente de bord nous intimait de nous préparer à l’atterrissage, étudiait dans l’Est pour obtenir, je le cite, un « bachelor of Science in Business » de Penn State Beaver. Endetté jusqu’au cou et suivant la voie tracée par ses aïeux, il venait participer au pillage d’une autre ressource naturelle pour rembourser mononcle Sam.
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Refermant le carnet du parfait globe-trotter, je songe qu’un milliard trois cents millions d’êtres humains ont voyagé à des fins récréatives l’année dernière. En tout, quatre milliards cent millions d’Homo sapiens ont pris l’avion. La planète paie le prix de tous ces avions attrapés comme on se mouche. (…) En tant que sublimation de l’instinct de pillage capitaliste, le tourisme parachève la civilisation du pétrole et du plastique.
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Tout le monde connaît le fameux proverbe navajo, peut-être apocryphe, qui dit que nos actes doivent être évalués à l’aune des sept prochaines générations. Ça correspondait à peu près au temps écoulé depuis la dernière expédition d’Audubon. Le legs de sa génération, je l’avais sous les yeux.
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Et les coups de feu qui visaient tous ces oiseaux étaient encore plus nombreux. Presque constamment environné d’un essaim de balles et de petits plombs, le vapeur était une forteresse flottante assiégée par la vie sauvage, pareille à un gros ruminant s’avançant sur le fleuve au milieu d’un nuage de moustiques. Le capitaine Sire avait raison : on se serait cru à Fort Alamo.
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Il avait écorché trop de bêtes dans sa vie pour ne pas ressentir profondément que nous sommes semblables aux animaux, composés des mêmes matériaux, des mêmes membranes, des mêmes fluides.

(Boréal, p.240)
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À chercher un fleuve sauvage et imprévisible dans le tracé dompté et harnaché qui s'évase à gros traits sur les cartes modernes, comme on essaie de retrouver la mince silhouette de la jeunesse à travers le corps épaissi de l'âge mûr.
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Les Indiens qu'il connaissait auraient sans doute tiré sur l'ours, eux aussi. Mais ils ne se seraient pas moqués de lui.
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Si les producteurs de 1492 : Conquest of Paradise ont pu imposer leur idiome impérial à un acteur français incarnant un découvreur génois commandité par des souverains espagnols, l'administrateur yankee d'un fort de traite du Haut-Missouri peut bien, le temps d'un bouquin, faire un petit effort et s'exprimer dans la langue de Molière.
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