Quand le dernier homme quitta le village, ceux qui restaient là-haut savaient déjà qu'il ne reviendrait plus que pour rendre visite à sa parenté, de loin en loin, si sa bourse était assez forte pour supporter les frais du voyage et lui permettre de faire bonne figure aux lieux de son berceau. Bonne figure, mais pas plus.
Sa mère lui avait souvent raconté comment, dans sa jeunesse, les plus pauvres s'en allaient chercher, dans ces sabots usés, des braises pour allumer leur feu. Les allumettes coûtaient trop cher pour leur bourse de misérables. Ils se rendaient chez le boulanger, le forgeron, dans toutes les maisons dont ils voyaient fumer la cheminée. Et les assez riches se devaient d'aller, de temps en temps, quémander de la braise aux pauvres par égards pour eux, les pauvres étant fort satisfaits de faire, à titre de revanche, la charité du feu. Ainsi s'établissent et durent les communautés.
La mémoire se joue du temps et le temps conserve plus jalousement la diffamation que la vérité.
La réserve apparente des peuples celtiques, qu'on prend souvent pour de la froideur, tient à cette timidité intérieure qui leur fait croire qu'un sentiment perd la moitié de sa valeur quand il est exprimé et que le cœur ne doit avoir d'autre spectateur que lui-même. [Ernest Renan]
Cet homme comprenait tout à demi-mot, il disait tout sans avoir l'air d'y toucher. Et pour parler comme il faisait il fallait bien qu'il eût l'habitude, non seulement de tirer enseignement de ce qu'il pouvait voir et entendre, mais encore de démêler tout ce qui ne passait pas en actes et en paroles. Ce bavard occasionnel était un traducteur des silences.
Il en venait à conclure qu'il n'avait servi qu'à leur faire reprendre leur entière communauté tout en restant lui-même en dehors de celle-ci. Pareil à ces substances qu'on appelle des catalyseurs et qui rendent possibles des réactions entre d'autres corps sans subir de modification dans leurs propres caractéristiques. (p.337)
...les Quêteurs du Vif.
Il n'y avait aucun compagnonnage entre eux. Ils ne voulaient pas de connaître, ils n'avaient pas les mêmes désirs tout en cherchant le même talisman pour les satisfaire. (p.283)
D'en bas, on la voyait, immobile dans l'embrasure, encadrée comme une statue dans sa niche. Quand on l'appelait de la cour, elle sursautait violemment et se couvrait le visage de ses deux mains comme si elle revenait sur terre de quelque part qu'on ne savait pas. Mais on a bien le droit de s'absenter de soi-même, n'est-ce pas ! (p.228)
Des furieux, des sauvages, ces Sarrasins, ces bâtards, ces fils de putes, ces païens ! Telle était la réputation qui vous était faite et qui dure encore. (p.151)
Cependant, il décida de réagir quand il dut s'avouer qu'il n'avait pas la moindre envie de parler à personne. Le mal de la colline pierreuse le gagnait sournoisement. Il était en passe de devenir le douzième solitaire. Or, ce n'était pas là ce qu'il souhaitait. Il était venu pour agir, non pour se laisser faire. (p.106)