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Critique de Niklos


L'UNIVERS NE PEUT ETRE COMPRIS QUE PAR LE VENT

On s'attend toujours au pire, quand il s'agit d'une suite ; la crainte est d'autant plus forte quand l'ouvrage séminal était merveilleux. On ne compte plus les cas où s'est affadie la substance initiale d'une trilogie : pensons aux Trois Mousquetaires. Pas ici.
La planète Arrakis est un tel artefact littéraire, un tel réseau de pistes écologiques, mythiques, politiques ; un tel nexus de poétique et de parapsychologie, de génétique et d'onirisme que sa richesse, loin de s'épuiser dans une nouvelle représentation, tendrait, plutôt à présenter de nouvelles facettes dans certaines des échappées de ce troisième volume. Dune devenue paradis oasien, où l'eau se gaspille : le distille remplacé par les pilules, la foi figée en église, l'épice en marchandise, le chef sacré en régisseur. Herbert poursuit ici sa méditation narrative sur les formes futures ou passées des sociétés possibles, leur croissance, les raisons de leurs déclins. Comme le fit Asimov avec les Fondation. Mais Herbert n'illustre pas Toynbee, il affronte à la fois son rêve intérieur et la réalité quotidienne. Voir son interview dans le N° 13 de A la poursuite des Sffans, p. 15-19 : il a conscience d'être dans un univers différent de celui où vivait Asimov « l'une des premières lois de ce nouvel univers est qu'il est impossible d'imposer le droit d'un groupe particulier, de dépendre d'un Dieu absolu ». D'où la présence de ce monde de Dune, et la charge de rêve exploratoire que contient cette trilogie. Mais il convient aussi de rapprocher cette saga de la Ruche d'Hellstrom, société organiciste, fondée sur des critères de productivité après Dune monde en expansion fondé sur la puissance éthique et la foi, qui va coloniser d'innombrables mondes et s'affadir, tentant en vain d'y implanter l'épice.
L'échec de la Jihad, c'est sa réussite matérielle. D'où le ressourcement de Paul dans l'absence, dans le désert, revenant, prêcheur, hérétique de sa propre religion et qu'aucun « grand inquisiteur » ne viendra questionner. Parallèlement à cette sorte de fuite vers l'intérieur, c'est le retour de sa mère. Dame Jessica. Et la tentative de revanche de ces sortes de psychohistoriens que sont — dans un vocabulaire mystique — les Bene Gesserit.
Intrigues et complots ne valent finalement (écume sur les vagues de sable) que par l'art de l'affrontement — l'éristique — entre des adeptes d'une sagesse et d'une pratique dont le lecteur n'a en main que quelques fragments (exergue de chapitres) ou quelques gloses (commentaires soit de l'auteur soit des participants eux-mêmes). Discours d'affrontement, qui ne vaut que par ce qu'il implique de combat, de domination, à base d'énigmes, d'esquives, de glissements dans la mémoire, de prises et de morsures. Ici, moins qu'ailleurs on aura vu que le langage sert à communiquer ! Mais ce « manque » de « message » — l'absence de contenu répertorié, pour le lecteur — sert en fait à créer un halo poétique où l'inexprimé se pare des vertus de la compréhension totale : bel effet d'illusion euphorisante, belle réussite de Herbert, plus évidente ici que dans les premiers volumes. Par cette forme de discours, des abstractions totales se trouvent prendre une vie éblouissante sur le mode de l'émotionnel, pour le lecteur subjugué.
L'intrigue propre à ce volume donne, en plus l'occasion de retrouver le désert le plus reculé, d'avant la transformation de Dune, et l'accession à la semi divinité de Leto — l'un des jumeaux de faut. En filigrane, l'annonce d'un quatrième volume : nouvelle Jihad qui aboutirait à réincorporer à Dune ses vertus antiques, réalisant l'impensable équilibre. Ouvrage multiforme, que l'on peut aborder comme premier contact avec le monde de Dune ou comme avant-dernier chapitre d'un long exode. Harmonieuse traduction de Michel Demuth.

Roger BOZZETTO
dans Fiction 296
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