Citations sur Il neige dans la nuit et autres poèmes (69)
Dimanche.
Aujourd'hui c'est dimanche.
Pour la première fois aujourd'hui
ils m'ont laissé sortir au soleil,
et moi,
pour la première fois de ma vie,
m'étonnant qu'il soit si loin de moi
qu'il soit si bleu
qu'il soit si vaste
j'ai regardé le ciel sans bouger.
Puis je me suis assis à même la terre, avec respect,
je me suis adossé au mur blanc.
En cet instant, pas question de gamberger.
En cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme.
La terre, le soleil et moi.
Je suis heureux.
1938.
Ce jardin, cette Terre humide, ce parfum de jasmin, cette nuit de clair de lune
continueront à étinceler lorsque jaurai pris le large,
car ils existent, liés à moi, avec moi et sans moi,
en moi n'est apparue que la réplique de l'original.
Je ne ressens pas la nostalgie des jours passés
— sauf celle d’une nuit d’été —
et même l’ultime éclat bleu de mes yeux
te dira la bonne nouvelle
des jours à venir.
Je regarde la nuit à travers les barreaux
et malgré tous ces murs qui pèsent sur ma poitrine,
Mon coeur bat avec l'étoile la plus lointaine.
Six heures du matin
ouvrant la porte du jour, j'y suis entré
la saveur jeune du bleu m'a accueilli à la fenêtre
dans le miroir de mon front les rides d'hier
et sur ma nuque une voix de femme douce comme le duvet d'un coing
et à la radio les nouvelles du pays
et alors ma gourmandise sans répit débordante
je vais courir d'un arbre à l'autre dans le verger des heures
et le soleil se couchera mon petit
et j'espère qu'au delà de la nuit
m'attendra le goût d'un bleu nouveau, j'espère...
14 septembre 1960
26 septembre 1945
Ils nous ont eu:
moi à l'intérieur des murs,
toi à l'extérieur.
Ce qui nous arrive n'est pas grave.
Le pire:
c'est de porter en soi la prison
conscient ou inconscient.
La plupart des hommes en sont là,
des hommes honnêtes, laborieux et bons,
dignes d'être aimés comme je t'aime.
Leurs chants sont plus beaux que les hommes,
plus lourds d'espoir,
plus tristes,
et plus longue est leur vie.
Plus que les hommes j'ai aimé leurs chants
J'ai pu vivre sans les hommes
jamais sans les chants;
il m'est arrivé d'être infidèle
à ma bien-aimée,
jamais au chant que j'ai chanté pour elle;
jamais non plus les chants ne m'ont trompé.
Quelle que soit leur langue
j'ai toujours compris les chants.
En ce monde,
de tout ce que j'ai pu boire et manger,
de tous les pays où j'ai voyagé,
de tout ce que j'ai pu voir et entendre,
de tout ce que j'ai pu toucher et comprendre,
rien, rien ne m'a rendu jamais aussi heureux que les chants...
20 septembre 1960
Je suis dans la clarté qui s'avance
Mes mains sont toutes pleines de désir, le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres,
les arbres si pleins d'espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé d'en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie.
Je ne sens pas l'odeur des médicaments.
Les oeillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n'est pas la question,
la question est de ne pas se rendre.
Je ne ressens pas la nostalgie des jours passés - sauf celle d'une nuit d'été - et même l'ultime éclat bleu de mes yeux te dira la bonne nouvelle des jours à venir.
Mes frères,
couplés au boeuf décharné, nos poèmes
doivent pouvoir labourer la terre,
pénétrer jusqu'au genou
dans les marais des rizières,
poser toutes les questions,
rassembler toutes les lumières.
22 janvier 1962, Moscou
« Aux écrivains d'Asie et d'Afrique », extrait. Poèmes lyriques.
Traduction de Münevver Andaç et Guzine Dino, p. 227.