Non, aucun de nous n'oublierait jamais la remise de diplômes de cette année-là, mais pas pour ces raisons. Elle resterait gravée à jamais dans nos mémoires car c'était cette nuit-là, la nuit du 16 juin, que Penelope Alistair s'était tuée.
Quoi? crie le monde entier, incrédule. Le monde voulait garder de Nantucket le souvenir des gin-tonic frappés sur la balustrade du porche, des voiles gonflées par le vent large, des caisses de tomates mûres à l'arrière d'une fourgonnette de ferme. Le monde ne voulait pas se remémorer la mort d'une fille de dix-sept ans. Pourtant, il devait accepter ce fait: Nantucket était un endroit bien réel.
Où se produisaient parfois de réelles tragédies.
Malgré son ébriété, elle n’avait pas menti ni embelli son histoire. Elle avait dévoilé la stricte vérité, or la vérité n’était pas de son fait.
Il se précipita vers le téléphone. L'identificateur d'appel indiquait "Ville de Nantucket". Ce qui signifiait police, hôpital ou école.
- Allô ? répondit Jodan en s'effoçant de paraître éveillé.
- Papa ?
Ce fut le seul mot que Jake réussit à articuler. S'ensuivit un cafouillage incompréhensible, mais Jodan remerciait le ciel de savoir son fils vivant, capable de parler et de se rappler le numéro de téléphone de la maison
Ne nous croyez pas insensibles pour autant, la vie continuait, voilà tout. L’été, nos existences étaient plus remplies que jamais.
Toute sa vie, il avait cru que le journalisme était une profession de foi. Son boulot était d’écrire et publier les faits et rien que les faits – en dehors des éditoriaux. Un journal était pur. Sacré.
Les gens pensent que c’est la faute de la mère, qui n’a pas appris à ses enfants à boucler leur ceinture. Que sa voiture, la orange, n’a même pas de ceintures de sécurité. Que la fille était mentalement instable. Que c’était un suicide. Ils disent que c’était un double suicide, un pacte entre Penny et votre fils, mais que Jake a mis sa ceinture au dernier moment. Ils parlent d’un quadruple suicide.
Il ne s’était jamais retrouvé face à une histoire qu’il était incapable de raconter. C’était l’un des commandements du monde journalistique : on publie les nouvelles, peu importe les circonstances. On publie les frasques du gouverneur avec des prostituées ou les méfaits de l’enfant chéri du sénateur, même si le sénateur était votre coturne à la fac et que le gouverneur est l’oncle de votre femme.
Depuis la naissance des jumeaux, c’était son modus operandi. En poser un par terre, prendre l’autre dans ses bras pour le bercer. Donner son bain à l’un, installer l’autre sur le tapis doux de la salle de bains, en train de pleurer. Aider l’un à faire ses devoirs, laisser l’autre se plaindre sur le côté. Regarder l’un jouer au basket, demander à l’autre de s’asseoir dans les gradins et encourager son jumeau. Zoe devait faire face à deux séries de besoins. Et diviser son attention n’avait jamais fonctionné. Ses enfants le savaient : elle s’occupait ou de l’un ou de l’autre exclusivement.
Il fallait être une mère pour comprendre. Mais combien de mères comprenaient vraiment ? Certaines en étaient capables, oui. Des mères avec des enfants malades. Des mères avec des fils ou des filles en Afghanistan ou dans d’autres pays en guerre.
Quel Américain ne craquait pas pour l’accent britannique ? Accent, dans le cas d’Ava, non pas britannique, mais australien.