Plus j'étudiais les récits d'autres auteurs, écrits comme oraux, plus il me semblait que ce genre d'entreprise ne vise pas à préserver le savoir, mais à figer le passé dans un état intangible. Comme lorsqu’on aplatit une fleur dans un herbier et qu'on la laisse sécher, nous tentons d'immobiliser ce que nous avons vécu pour pouvoir dire : " voici exactement comment était la situation quand j'en ai été témoin." Mais, à l'instar de la fleur, le passé ainsi fixé n'est plus le passé; il perd son parfum et sa vitalité, sa délicatesse devient friabilité et ses couleurs s'estompent. Et, quand on rouvre l'herbier, on s'aperçoit que la fleur n'est plus du tout celle qu'on voulait capturer, que l'instant qu'on cherchait à retenir s'est enfui à jamais.
La vie est un équilibre. On tend à l’oublier alors qu’on vit, insouciant, chaque jour après l’autre. On mange, on boit, on dort et on croit qu’on se réveillera toujours le lendemain, qu’on sortira toujours revigoré d’un bon repas et de quelques heures de repos. Les plaies ne peuvent que guérir, la douleur s’estomper avec le temps, et, même quand les blessures cicatrisent moins vite, quand la douleur s’atténue le jour pour revenir dans toute son intensité la nuit, quand le sommeil n’est plus réparateur, on croit encore que, le lendemain, tout aura repris son équilibre et qu’on pourra continuer à vivre comme d’habitude. Mais, à un certain moment, le délicat équilibre s’est rompu, et, on peut bien faire tous les efforts du monde, on entame la lente chute, la transformation de l’organisme qui s’entretient seul en celui qui lutte bec et ongles pour demeurer ce qu’il était naguère.
"Bonne chasse. J'y vais, mon frère". Il s'exprimait d'un ton résolu.
"Tout seul ? Mais tu ne peux pas tuer un chevreuil tout seul !" Je poussai un soupir résigné. "Bon, attends-moi, je me lève et je te rejoins".
"T'attendre ? Sûrement pas ! J'ai toujours dû te devancer pour te montrer le chemin".
C'est curieux, je trouve : on ne se rend compte de l'importance de quelqu'un dans sa vie que quand il est en danger de mort; on se dit qu'on ne pourra pas continuer à vivre s'il lui arrive malheur, mais le plus effrayant, c'est qu'en réalité on va continuer à vivre, on ne peut pas faire autrement, avec ou sans lui.
La cruauté est un art qui s'apprend par non seulement par l'exemple mais aussi par l'expérience.
une grande partie du malheur des hommes provient des espoirs qu'ils nourrissent
L'histoire n"est pas plus figée ni morte que l'avenir. le passé est tout près; il commence à la dernière respiration qu'on a prise.
Ah, mon ami, j’ai traversé des contrées où les femmes se seraient entre-poignardées pour toi !
Je pris une longue inspiration : ma mission était achevée; j'avais ramené le prince sain et sauf à Castelcerf, à temps pour ses fiançailles. J'essayai de ressentir diverses émotions. Triomphe ? Joie ? Exaltation ? Non. J'étais trempé, fatigué, affamé; glacé jusqu'au coeur; seul.
Vide.
C'est toujours ainsi que m'est apparu le chagrin, comme un temps où l'on attend, non que la souffrance s'efface, mais que l'on s'y habitue.