En ce début d'été, de bon matin, au coeur des Alpes, à l'intersection de deux vallées, sur des chaises en fer vertes, à la terrasse d'un café encore endormi, deux hommes sont assis ; à leur allure et à leur équipement, on reconnaît sans peine des alpinistes (épais vêtements de laine et chapeaux de feutre, sacs à dos, une corde enroulée sur l'un d'eux, longs piolets et lourdes chaussures cloutées -l'histoire se passe dans les années vingt de ce siècle).
Un glacier est un fleuve de glace qui coule lentement. Comme son lit n'est jamais creusé régulièrement, là où la pente s'accentue (là où l'eau d'un torrent bouillonnerait) se constituent des fissures - ou crevasses ordinaires - qui sont perpendiculaires à la direction générale du glacier.
La nuit en montagne rend toute chose plus inquiétante qu'elle n'est, grossit à l'infini le contour et la présence obscure du massif, semblable en vérité à ces créatures démoniaques des rêves qui, dans le demi-sommeil de ces nuits, angoissent parfois même de vieux alpinistes, si sûrs d'eux pendant le jour.
Le massif est altier, synonyme de triomphe aisé, incontestable. La partie supérieure de ses flancs, revêtues de névés et d'une roche grise, lisse, à l'éclat soyeux, évoque un bouclier, une cuirasse, un ouvrage ciselé en finesse dans l'acier ou l'argent. Et ce long bâtiment montagneux tout entier, se détachant sur le ciel clair, pourrait également rappeler un grand navire, qui ne ferait pas seulement route dans l'océan des terres, mais dans l'éternité.
Il approchait déjà le grand surplomb quand - debout sur une sorte de petite plate-forme, il tirait la corde à lui pour la plier - la chose arriva, inconcevable. Lui ne tomba pas mais le piolet tomba. Et c'était presque comme si son compagnon, le dernier compagnon qui lui restait, l'avait abandonné.
"Pourquoi faites-vous l'ascension des montagnes ?"
........ " Pour m'échapper de prison " Et puis ?