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Critique de SanReale


Je recommande vivement la lecture de Premières à éclairer la nuit, de Cécile A. Holdban (Arléa, janvier 2024), que je viens de lire quasiment d'une traite, contrairement à mes habitudes. Ces Premières sont 15 poétesses du XXe siècle, de toutes origines géographiques (hormis la France), certaines célèbres (Anna Akhmatova ou Sylvia Plath par exemple), d'autres qui m'étaient jusqu'ici totalement inconnues (l'iranienne Forough Farrokhzad ou l'italienne Antonia Pozzi par exemple) – et c'est l'une des vertus de ce livre que de nous les faire découvrir. Chaque poétesse, introduite par un court poème et un portrait, fait l'objet d'une dizaine de pages.

On pourrait croire à une sorte de manuel littéraire. Il n'en est rien, car Cécile Holdban ne se contente pas de dresser un portrait de ces femmes : elle les incarne, se glissant dans leur chair, faisant sienne leur esprit souvent tourmenté, s'assimilant même leur langue, en incorporant à son texte (qui prend la forme d'une lettre de la poétesse à un proche – et Cécile Holdban évoque avec raison à ce propos « les voix qui montent des tombes du cimetière de Spoon River »), en incorporant donc à son texte des bribes de leurs poèmes, simplement distinguées par l'italique. Il s'agit donc d'une oeuvre littéraire, d'autant plus passionnante qu'à travers ces 15 « miniatures », nous parcourons un éventail assez large d'expériences et de sentiments.

Ce livre est aussi l'occasion pour Cécile Holdban de soulever quelques questions opportunes, par exemple sur l'existence ou non d'une poésie spécifiquement féminine, à quoi elle répond que cette idée est réductrice : « ... en chaque personne, il est probable que ces deux pôles – féminin et masculin – coexistent et se manifestent, avec plus ou moins de force ou de vigueur, parfois tour à tour. » Et d'ajouter : « Et même si, peut-être pour des raisons autant physiologiques que culturelles, ce pôle féminin s'est manifesté dans l'écriture par une sensibilité et une sensualité plus incarnées, un lien au monde vivant plus ancré, ces caractéristiques ne sont pas pour autant l'apanage des femmes ». Manifeste est aussi le poids de l'Histoire et de la religion.

Quant à moi, m'a frappé le fait que sur les 15 poétesses, 7 se sont suicidées, une autre l'a tenté, plusieurs ont séjourné en hôpital psychiatrique, ce qui fait que bien peu de ces femmes ont vécu une existence normale. Que faut-il en conclure ? Vérité profonde, qui lierait la pulsion de l'écriture à l'attrait de la mort (qu'on devrait donc retrouver à l'identique chez les hommes), ou effet physiologique, fruit « d'une sensibilité et une sensualité plus incarnées » ou encore biais méthodologique, comme disent les scientifiques : attirance de Cécile Holdban pour ces femmes tourmentées, évidemment plus propres à nourrir une oeuvre littéraire ? Quoi qu'il en soit, c'est l'un des mérites de ce livre que de nous inviter à une réflexion plus large que la seule appréhension de ces 15 destins individuels.
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