Ils atteignaient la zone suburbaine de Lesparre, sur la route vers Bordeaux. Un soleil d'Espagne écrasait les angles blessants des solderies, des entrepôts essaimés. Parmi eux poussaient des vignes qu'en cette saison, de place en place, des ouvriers isolés épampraient.
Des branches de pin empêchaient de rendre aveuglant, à cette heure-ci, le soleil rougi que mangeait l'océan pour son goûter.
Avec la marée monte une odeur de sel et d'algues où se glisse l'épice des plantes maritimes. Dans leur creux de dune, Jeanne consent enfin à s'exposer au soleil. (...) Elle rejoint l'écume des vagues au moment où son homme émerge, lui en revanche nu, essoufflé et joyeux, une vison qu'elle adore, le monde vient de naître, voici son Adam.
(p. 115)
C'était l'instant immobile durant lequel les chats s'alanguissent en travers des tables, les goélands frissonnent alignés face au large, le lézard s'arc-boute sur ses membres en fixant le ciel. Sont-ils bien différents de nous ? Seulement respirer, songeait-elle, quel cadeau...
(p.56)
Une seule pensée : ne plus bouger. Jeanne, qui ne s'étaient jamais sentie exister qu'au bord de disparaître, découvrait qu'on pouvait ne pas être grand-chose et s'en porter bien, par exemple une puce de mer, un oyat parmi des milliers. Nul besoin de se blesser, de s'amputer.
Dans le quartier, pour l'heure, au milieu de la lente poursuite à laquelle se livraient le soleil et l'ombre, on ne voyait s'agiter que la silhouette de Jeanne. Elle aimait ce moment paisible, dépeuplé, entre installation et premiers client, où, avec art, en rêvant un peu, elle fignolait le réassort.
L'Océan, depuis le parking, ressemble à la Manche, gris pareil, mais sans navire. Le voyageur note que le premier sent le plâtre , quant à la seconde, le poisson.