S'amuser signifie toujours: ne penser à rien, oublier la soufrance même là où elle est montrée. Il s'agit, au fond, d'une forme d'impuissance. C'est effectivement une fuite mais, pas comme on le prétend, une fuite devant la triste réalité; c'est au contraire une fuite devant la dernière volonté de résistance que cette réalité peut encore avoir laissé subsister en chacun. La libération promise par l'amusement est la libération du penser en tant que négation
Jadis les artistes signaient comme Kant et Hume chacune de leurs lettres par cette formule "humble serviteur", tout en sapant les assises du trône et de l'autel. Aujourd'hui, ils appellent des chefs de gouvernement par leur prénom et sont soumis, dans chacune de leurs activités artistiques, au jugement de leurs maîtres ignorants.
Dans une société concurrentielle, la publicité avait pour fonction sociale d'orienter le consommateur sur le marché, elle facilitait le choix et aidait le fournisseur inconnu et moins habile à écouler sa marchandise. Au lieu de coûter du temps, elle en faisait gagner. Aujourd'hui, le marché libre est en train de disparaitre et la publicité sert de refuge à ceux qui organisent le système et le contrôlent. Elle resserre les liens qui lient les consommateurs aux grands trusts. Seul celui qui peut payer les droits exorbitants que réclament les agences de publicité, en tête de toutes la radio elle-même, c'est-à-dire ceux qui font déjà partie du système où sont cooptés par les décisions du capitalisme bancaire et industriel, peuvent pénétrer comme vendeurs sur ce qui n'est qu'un pseudo-marché.
Le connaisseur et l'expert sont l'objet du mépris réservé à ceux qui ont la prétention de se croire supérieurs aux autres, alors que la culture distribue si démocratiquement ses privilèges à tout un chacun.
Même si l'effort exigé est devenu presque automatique,il n'y a plus de place pour l'imagination. Celui qui est absorbé par l'univers du film, par les gestes, les images et les mots au point d'être incapable d'y ajouter ce qui en ferait réellement un univers, n'a pas nécessairement besoin de s'appesantir durant la représentation sur les effets particuliers de ses mécanismes. Tous les autres films et produits culturels qu'il doit obligatoirement connaître l'ont tellement entraîné à fournir l'effort d'attention requis qu'il le fait automatiquement. La violence de la société industrielle s'est installée dans l'esprit des hommes. Les producteurs de l'industrie culturelle peuvent compter sur le fait que même le consommateur distrait, absorbera alertement tout ce qui lui est proposé.
Tout se passe comme si les hommes qui ont trahi les espoirs de leur jeunesse en s'insérant dans le monde étaient punis par une décadence précoce.
Médiatisés par la société totale qui a investi toutes les relations et tous les sentiments, les hommes redeviennent ce contre quoi s'était retourné la loi de l'évolution de la société, le principe du moi: les simples représentants d'une espèce que l'isolement dans une société gouvernée par la coercition rend tous semblables. Les rameurs qui ne peuvent se parler obéissent tous au même rythme, comme le travailleur moderne à l'usine, au cinema et dans la vie collective.
Le plaisir favorise la résignation qu'il est censé aider à oublier.
La ruse n'est rien d'autre que le développement subjectif de la non-vérité objective du sacrifice qui la remplace.
Il est trop évident qu'on pourrait vivre sans toute cette industrie culturelle, qui ne peut donc qu'engendrer trop de satiété et d'apathie chez les consommateurs. Mais elle n'est guère en mesure se faire quelque chose d'elle même contre cette évolution. La publicité est son élixir de vie. Mais comme son produit réduit continuellement le plaisir qu'il promet à une simple promesse, il finit par coïncider avec la publicité dont il a besoin, pour compenser la frustration qu'il engendre.