- tu savais qu'elle avait un fils ?
- oui. Elle m'en a vaguement parlé un jour. Je ne lui ai pas posé de questions, elle paraissait mal à l'aise.
- c'est à cause de lui qu'elle a fait un malaise
- Non, moumousse. Les mères font des malaises à cause de l'amour qu'elles éprouvent pour leurs enfants. Elles sont convaincues qu'elles sont responsables de leurs maux, de leurs inaptitudes, de leurs échecs. Au moindre faux pas de leur progéniture, elles se reprochent de n'avoir pas su leur apprendre à marcher. On devrait obliger les femmes à se demander si leurs enfants sont de bons enfants, au lieu de s'accuser d'être de mauvaises mères, on devrait leur fourrer dans la tête que le rôle de parent n'incombe pas à elles seules et que le rôle des pères ne se limite pas à donner leur nom de famille avant de mettre les voiles parce qu'élever des enfants n'est pas qu'une source de joie, que c'est même très dur, et qu'on ne fournit pas le mode d'emploi. Parce qu'on attribue encore et toujours majoritairement la garde des enfants à la mère, parce que les pères, une fois déliés du sacrement du mariage, oublient très souvent qu'ils restent des pères quand ils ne sont plus des maris. Parce qu'on a l'habitude de ces hommes qui s'en vont en abandonnant leurs petits pour en refaire d'autres, mais qu'on fustige toute femme qui oserait copier ce schéma.
"Une famille ce n'est pas toujours celle qu'on croit,
celle qu'est marquée sur le livret à la naissance"
Et lorsqu'elle avait enfin compris que l'amour revêtait différentes formes, qu'il se présentait souvent au coeur d'une véritable amitié, toujours dans le partage, la réciprocité, rarement dans un rapport de force, et en aucun cas au sein d'une relation toxique, il était trop tard pour réparer.
Marcel proposa de prêter l'imprimante du bureau afin d'émettre la fameuse procuration, le sésame dont on ne doutait pas qu'il suffirait à sauver la vieille dame des griffes d'une administration qu'ici tous réprouvaient, ce monstre aux rouages bien huilés qui avait tenté de les écraser un par un comme de vulgaires insectes, avant qu'ils trouvent refuge, compréhension, amitié et tranquillité au coeur de leurs abris de métal ou de polystyrène mal isolés, utérus modernes aux dimensions étroites et pourtant suffisantes pour s'y sentir à l'abri, protégés du monde extérieur, du système qui les avait une fois ou l'autre, voire toujours rejetés.
"Pour refaire une carte d'identité, on doit être
inscrit dans une commune. Donc pas de domicile
légal égal pas d'attestation, pas d'attestation égal
pas de carte d'identité, pas de carte d'identité
égal pas de domicile."