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Critique de Rodin_Marcel


Michel Houellebecq - « Les particules élémentaires », publié en 1998 chez Flammarion.
Fichtre ! J'ai donc attendu quelques dix-sept années pour me mettre à lire Houellebecq, dont la posture dans le genre martyr torturé dépressif me répugne.
Force m'est cependant de reconnaître que ce «truc-là» doit être bien écrit puisque je l'ai lu sur deux jours (et deux nuits), alors que ce récit glauque à vomir se vautre dans une nausée quasi permanente et plutôt lassante.
Outre la qualité de l'écriture, c'est probablement aussi le contenu narratif qui retient mon attention : né en 1956, Houellebecq est pratiquement mon contemporain, même si son jeune âge lui a fait rater mai-68. Il raconte ici la vie de deux demi-frères nés à la fin des années cinquante de la même mère Janine (elle-même née en Algérie en 1928).
le cadre social n'est pas le mien, loin s'en faut, mais l'auteur prend soin de le situer dans ce milieu intello-gaucho-bobo dont l'idéologie a imprégné toute la société française depuis l'après seconde guerre mondiale. Ainsi la mère a-t-elle connu les existentialistes (elle a même dansé le be-bop avec Jean-Paul Sartre !!! on voit combien Houellebecq est suffisamment malin pour émailler son récit de piques d'humour noir ou de railleries sarcastiques allégeant çà et là cette lourde lecture), pour ensuite rejoindre une communauté hippie dès le début des années soixante, et adhérer à l'idéologie soixante-huitarde (le camping post-soixante-huitard est une autre séquence – excellente – d'humour noir) qu'elle ne quitte plus jusqu'à sa mort hideuse. Bien sûr, elle et les deux géniteurs successifs des enfants abandonnent ceux-ci à leurs grands-parents respectifs pour «vivre leur vie émancipée» comme ce fut hélas bien souvent réellement le cas dans cette génération.
L'intrigue réside principalement dans la narration des vies respectives des deux demi-frères : l'un dénommé Michel Djerzinski, devient un chercheur mondialement reconnu dans le domaine des biomolécules et du clonage. Traumatisé par la mort de sa grand-mère, il restera toute sa vie incapable de la moindre vie affective, au point de rater le seul grand amour qu'il aurait pu connaître avec Annabelle.
L'autre, dénommé Bruno, connaît une enfance de viols et d'humiliations dans un internat pour garçons, pour ensuite devenir enseignant de français dans un lycée. Physiquement peu avantagé, il ne parvient à nouer aucune relation amoureuse et tombe dans une frénésie sexuelle perpétuelle, faite de voyeurisme salace et de recours à des prostituées. Il finira par rencontrer toutefois une compagne, mais ratera lui aussi lamentablement cette possibilité de bonheur.
Cette intrigue principale est augmentée de l'exposé des biographies succinctes de quelques partenaires féminines, mais aussi et surtout de longs exposés peu convaincants visant à rapprocher l'existence humaine et la biogénétique de diverses théories scientifiques rendant compte des mécanismes des « particules élémentaires ».
Pendant les deux premiers tiers au moins du roman, l'auteur se livre à des descriptions pour le moins scabreuses, humiliantes et révulsives du sexe féminin ainsi que des ébats sexuels, pour ne rien dire des rares enfants mis en scène : il pointe les dégâts consécutif au jeunisme délibérément cultivé par les élites médiatico-dirigeantes depuis des décennies, puissamment relayé par une bonne partie de la gent féminine (les ravages de la chirurgie dite esthétique, métier de l'un des deux géniteurs).
Ceci l'amène d'ailleurs à sa thèse finale : Michel Djerzinski mourra après avoir posé les fondements du remplacement de la race humaine par une espèce immortelle et stérile, se reproduisant par clonage, et dont la sexualité n'a donc plus aucun enjeu de reproduction de l'espèce.
Certes, Houellebecq se vautre dans une nausée habilement littérarisée, pénible à supporter : soit ceci correspond à son propre vécu, soit il exploite le filon du succès par le scandale (que les médias lui accordent plus que généreusement). Peu importe ici.
La force de ce texte réside dans l'exposition sans fard de thèmes majeurs secouant les sociétés occidentales d'aujourd'hui depuis les années soixante : la destruction de tout repère moral, la destruction de la cellule familiale (poursuivie avec acharnement dans certaines strates sociales gaucho-bobo), la destruction de l'idée même de couple humain, la destruction de tout héritage culturel, le triomphe de l'hédonisme individuel le plus bassement matérialiste. Au passage, relevons que les constats faits par Houellebecq rejoignent par exemple largement ceux du Wallander d'Henning Mankel.

En somme, ne convient-il pas de lire ce texte non comme une fiction romanesque mais plutôt comme un pamphlet rendant compte de la marche des sociétés occidentales vers une nouvelle forme de barbarie ???
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