Même les coups de botte ne le sortaient plus de sa torpeur. Il tournait au zombie mais chez lui, c’était l’âme qui était atteinte, pas le corps.
Je vivais dans la peur, peur de la cravache du Mafflu, peur des sangsues, peur qu’on me tue d’une balle ou qu’on me fasse éclater le crâne à propos de rien. Car ils étaient ainsi, imprévisibles et féroces, sans pitié, et je savais que ma vie ne tenait qu’à un fil, je savais qu’ils étaient fous, incurables et cependant méthodiques dans leur folie, le sergent, le Mafflu, les hommes avec leurs yeux de drogués, le bep qui m’aurait assassiné, le rire aux dents, qui un jour m’a lâché dans les jambes une bassine d’huile bouillante, j’ai sauté de justesse.
Les soldats de la garnison ne sont pas des gars faciles. On en raconte d’ailleurs pas mal sur leur compte, surtout sur celui du sergent, un maniaque du service, un lunatique aussi.
Il n’y a que dans les romans ou dans les situations très définies que les rapports sont à peu près clairs, le plus souvent il y a une marge d’incertitude. Les relations, c’est le règne de l’ambiguïté, on navigue à l’estime, à coups d’à-peu-près, une vérité, une connerie. L’ennui, c’est qu’il faut sans cesse trancher, décider, aller de l’avant.
On est tous un peu masqués et pas le même masque pour tout le monde, ce qui complique encore les choses, ainsi, moi, tellement épris de vérité, j’avais tout un côté maquereau, rouleur de rombières, trapéziste de charme.
On disait que pour eux et pour leurs femmes couvertes de bracelets et de colliers d’argent, rien n’avait changé depuis deux mille ans, qu’ils régnaient dans leurs montagnes, arrogants guerriers. Une vadrouille à faire avant qu’on les civilise, qu’on leur apporte la brosse à dents et le papier-monnaie, une tendance qu’ils avaient ici, nos efficaces colons.
On peut expulser les indésirables, même s’ils justifient d’un moyen d’existence.
De pareils rapports, ça devait exister dans les camps de concentration chleus pendant la guerre. Ici, ils sont seuls, pas contrôlés, coupés de tout pour des mois, ils font ce qu’ils veulent. Ils peuvent humilier, tuer sans scrupules et tu es dans le piège.
Il n’y a que deux monnaies d’échange : les barres d’argent et la quinine.
Il y a une fortune à faire pour quelqu’un qui a de l’argent, et pas mal de culot.