Au long du voyage
Mon amour a la saveur des jours
baignés de terre et de ciel
Dialogue même au temps du silence
il voudrait panser nos multiples blessures
comme un matin aspire les spasmes de la nuit
long mûrissement de chair et de cœur
Il a le calme et la profondeur des grands lacs
L’orage qui hante la montagne
le fait vibrer dans un cri
dont les résonances s’éteignent jusqu’au murmure
Notre amour a le goût du long cours
Chaque escale est une fête
ou l’abri des intimes douleurs
Je laisse l’éphémère aux amateurs de libellules
J’admire la permanence des roches granitiques
Roc et flux font naître un chant infini
monodie d’espace et de vent
Notre amour s’enracine dans cette terre que nous foulons
mais la Source est d’ailleurs
Hors des limites de notre souffle
il y aura toujours un Dieu caché
dans le secret des ombres.
(Michel Vernier)
Naufrage
J’ai pris tant de bateaux qui n’allaient nulle part
Des coques de carton au hasard des rigoles
Des trois-mâts en prison dans des flacons d’espoir
Des voiliers dans les vents d’une tempête folle
J’ai vu tant de regards qui ne me voyaient pas
Des yeux aliénés aux confins des névroses
Des yeux fixés en pleurs revenus d’au-delà
Des yeux qui se fermaient toute aventure close
Que je cherche des yeux qui seraient un bateau
Que je cherche un bateau dans le fond de tes yeux
Et je m’embarquerais pour un rêve au long cours
Moussaillon d’océan ou marin de ruisseau
Qu’importe la galère où je mourrais joyeux
Dans la sérénité d,un naufrage d’amour.
(Jean-Francis Goerres)
Attente
Ce serait d’abord
Un long, un très long baiser
Une rivière affolée
Grossie par une pluie soudaine
Des courants
Retenus depuis si longtemps
Qui se mêlent
Un lent, très lent effeuillage
Où les lèvres picorent
La peau qui se dénude
La suite
Je crois la connaître
Elle n’est jamais la même
Car je t’aime.
(Brigitte Delsalle)
Un soir de neige III
Nous avions dormi sous une falaise,
souviens-toi,
la pierre était douce
à nos enlacements.
Nous dansions comme on sème
et prenions le couchant
pour l’avant-garde des étoiles.
Conserve ce moment
où, glissant un anneau
sur ton doigt qui jouait,
j’ai prononcé les mots
dont j’avais reculé
l’issue dessous la langue.
On nomme fiançailles
cet épisode-là
qui pour les autres pèsera
si peu de poids sur une page.
(Carl Norac)
Pour un amour de déraison II
Du doigt tu dessinais ta fougue sur mes lèvres
par ma langue assouplie ta bouche j’écrivais
et le plain-chant brûlait dans la fraîcheur des voutes
au battant de la nef je vibrais de silence
mes mains te composaient un regard d’au-delà
tes reins me décrivaient la cambrure de l’ogive
et ton corps s’aveuglait à flamber dans ma nuit.
(Suzy Doleyres)