Citations sur La Demoiselle des Tic-Tac (13)
Oma Chouchou racontait tout le temps que les suicidés grillent en enfer pour toujours. Moi, je ne crois ni au paradis ni à l'enfer, c'est une invention des curés pour forcer les gens à obéir.
Dès le début de la guerre, [ma mère] m'a appris à gérer les stocks et à quitter la table avec la faim au ventre. Ce qui compte, disait-elle d'un air sévère, ce n'est pas d'être rassasié, c'est d'avoir assez de force pour courir vite. (p. 95)
Aux cours de politique, Fraülein Birgit, notre nouvelle institutrice, préférait nous enseigner le dessin et le maniement des couleurs. (...) Et pour ne pas risquer d'être fusillée, Fraülein Birgit nous demandait de copier le portrait de notre Führer ou le drapeau nazi. Seules les plus douées se risquaient à croquer M. Hitler, les autres se contentaient de reproduire fidèlement, sur un fond rouge, le rond blanc et la croix gammée. (...)
Je savais, pour l'avoir lu dans 'Mein Kampf', combien notre Führer avait travaillé dur pour choisir l'emblème de son parti, alors, je m'appliquais.
(p. 85)
[adolescentes des jeunesses hitlériennes]
Les plus âgées avaient pour mission de se glisser sous les tentes pour consoler les hommes. Certaines en ressortaient rayonnantes et fières, d'autres en larmes, les cuisses serrées, mais nous les regardions toutes avec envie, désireuses d'être nous aussi, un jour, un baume sur le coeur de nos pauvres héros. Il n'était pas question de refuser ce privilège, les plus hardies chuchotaient que de toute façon, nous n'avions pas le choix. Les insoumises seraient arrêtées, emprisonnées, et la honte s'abattrait sur leur famille. (p. 90-91)
(...) j'étais apte à comprendre qu'en temps de guerre, tout n'est pas permis. Ma mère m'avait enseigné qu'il ne faut pas toujours dire ce qu'on pense, sous peine de ne jamais plus avoir l'occasion de le dire. (p. 73)
Le train pour Nancy, bloqué par les convois militaires, a été forcé à faire demi-tour après avoir stationné en plein champ durant deux jours, sous un soleil de plomb. Dommage, si seulement ils avaient eu des ballons dirigeables... N'ont-ils pas lu Jules Vernes ? Les écrivains ne servent-ils donc à rien ?
Quand les rues étaient encore sûres, il m'arrivait de me poster sur un trottoir, au sommet de la rue, les yeux fermés, pour ne plus voir ce monde qui ne me convenait plus.
Les choses ne vont pas si mal, j'ai de quoi manger jusqu'au retour de Mutti. Je m'autorise un sourire, histoire de profiter de ce bonheur minuscule avant de le ranger dans mes autres jardins pour le revivre, quand le soleil de ma rue fera éclore les fleurs au lieu d'abîmer les morts et que les herbes folles combleront les cratères. Ca ne peut pas être la guerre tout le temps.
De temps en temps, Oncle Edy évoquait ce fâcheux épisode du cerf-volant en ces termes : Rosy, ce n'est pas la faute aux enfants, il se raconte de mauvaises choses sur l'Allemagne et Hitler en ce moment, et les gens ont peur. Ils ont peur de la guerre. Ils ne veulent plus vivre ça.
Quand on est né lorrain, comme nous, il est parfois bien compliqué d'expliquer qui on est et d'où on vient.