Au reste, le domaine de la poésie est illimité. Sous le monde réel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l’œil de ceux que des méditations graves ont accoutumés à voir dans les choses plus que les choses. Les beaux ouvrages de poésie en tout genre, soit en vers, soit en prose, qui ont honoré notre siècle, ont révélé cette vérité, à peine soupçonnée auparavant, que la poésie n'est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes. La poésie, c'est tout ce qu'il y a d'intime dans tout.
Extrait de la préface - 1822
(...) Elle prit le voile à Tolède
Au grand soupir des gens du lieu,
Comme si, quand on n'est pas laide,
On avait droit d'épouser Dieu.
Peu s'en fallut que ne pleurassent
Les soudards et les écoliers
Enfants, voici des boeufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers !
(...)
Or, la belle à peine cloîtrée,
Amour en son coeur s'installa.
Un fier brigand de la contrée
Vint alors et dit : Me voilà !
Quelquefois les brigands surpassent
En audace les chevaliers.
Enfants, voici des boeufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers !
Il était laid, les traits austères,
La main plus rude que le gant;
Mais l'amour a bien des mystères,
Et la nonne aima le brigand.
On voit des biches qui remplacent
Leurs beaux cerfs par des sangliers.
Enfants, voici des boeufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers !
(...)
(La légende de la nonne, extrait des "Ballades", mis en musique par Brassens)
L'alcyon, quand l'océan gronde,
Craint que les vents ne troublent l'onde
Où se berce son doux sommeil ;
Mais pour l’aiglon, fils des orages,
Ce n'est qu'à travers les nuages
Qu'il prend son vol vers le soleil !
« Vois l’astre chevelu qui, Royal météore,
Roule, en se grossissant des mondes qu’il dévore,
Tel, ô jeune géant, qui t’accrois tous les jours,
Tel ton génie ardent, loin des routes tracées,
Entraînant dans son cours des mondes de pensées,
Toujours marche et grandit toujours ! »
Les sort des nations, comme une mer profonde,
A ses écueils cachés et ses gouffres mouvants.
Aveugle qui ne voit, dans les destins du monde,
Que le combat des flots sous la lutte des vents !
Malheur à l'enfant de la terre,
Qui, dans ce monde injuste et vain,
Porte en son âme solitaire
Un rayon de l'Esprit divin !
Malheur à lui ! l'impure envie
S'acharne sur sa noble vie,
Semblable au vautour éternel ;
Et, de son triomphe irritée,
Punit ce nouveau Prométhée
D'avoir ravi le feu du ciel !
La gloire, fantôme céleste,
Apparaît de loin à ses yeux ;
Il subit le pouvoir funeste
De son sourire impérieux !
Ainsi l'oiseau, faible et timide,
Veut en vain fuir l'hydre perfide
Dont l'œil le charme et le poursuit ;
Il voltige de cime en cime,
Puis il accourt, et meurt victime
Du doux regard qui l'a séduit.
[Extrait] - Livre 4ème 1819-1827 - Le Génie - Ode 6ème (Juillet 1820)
Le voile du matin sur les monts se déploie,
Vois, un rtayon naissant blanchit la blanche tour ;
Et déjà dans les cieux s'unit avec amour,
Ainsi que la gloire à la joie,
Le premier chant des bois aux premiers feux du jour
Extrait "Le matin"
« Mais, donjon ou chaumière,
Du monde délié,
Je vivrai de lumière,
D’extase ou de prière,
Oubliant, oublié ! »
UNE FÉE.
BALLADE PREMIÈRE.
Elle apparaît… comme ces figures dont le poëte voit les yeux étinceler à travers le feuillage sombre, quand, dans sa promenade du soir, il rêve de l’amour et du ciel.
Th. Moore. Amours des anges.
… La reine Mab m’a visité. C’est elle
Qui fait dans le sommeil veiller l’âme immortelle.
Émile Deschamps. Roméo et Juliette[1].
Que ce soit Urgèle ou Morgane,
J’aime, en un rêve sans effroi,
Qu’une fée, au corps diaphane,
Ainsi qu’une fleur qui se fane,
Vienne pencher son front sur moi.
C’est elle dont le luth d’ivoire
Me redit, sur un mâle accord,
Vos contes, qu’on n’oserait croire,
Bons paladins, si votre histoire
N’était plus merveilleuse encor.
C’est elle, aux choses qu’on révère
Qui m’ordonne de m’allier,
Et qui veut que ma main sévère
Joigne la harpe du trouvère
Au gantelet du chevalier.
Dans le désert qui me réclame,
Cachée en tout ce que je vois,
C’est elle qui fait, pour mon âme,
De chaque rayon une flamme,
Et de chaque bruit une voix ;
Elle, — qui dans l’onde agitée
Murmure en sortant du rocher,
Et, de me plaire tourmentée,
Suspend la cigogne argentée
Au faîte aigu du noir clocher ;
Quand, l’hiver, mon foyer pétille,
C’est elle qui vient s’y tapir,
Et me montre, au ciel qui scintille,
L’étoile qui s’éteint et brille,
Comme un œil prêt à s’assoupir ;
Qui, lorsqu’en des manoirs sauvages
J’erre, cherchant nos vieux berceaux,
M’environnant de mille images,
Comme un bruit du torrent des âges,
Fait mugir l’air sous les arceaux ;
Elle, — qui, la nuit, quand je veille,
M’apporte de confus abois,
Et, pour endormir mon oreille,
Dans le calme du soir, éveille
Un cor lointain au fond des bois.
Que ce soit Urgèle ou Morgane,
J’aime, en un rêve sans effroi,
Qu’une fée, au corps diaphane,
Ainsi qu’une fleur qui se fane,
Vienne pencher son front sur moi !
1824.
En 1828, cette épigraphe a remplacé celle de l’édition originale, Nouvelles Odes, 1824. (Note de l’éditeur.
Laisse vieillir ton innocence,
Avant de croire à ta vertu.