J'aurais aimé qu'elle discipline ces bribes asynchrones dans le corset d'une chronologie fiable.
" Tout au long de ce voyage de dix jours à travers le Sud de l'Allemagne, nous n'avons rencontré aucun homme, aucune femme(et pourtant la majorité des femmes avaient été fascinées par Hitler) qui ne l'aient pas renié. Tous les allemands que nous avons rencontrés nous ont juré, main sur le coeur, qu'ils n'avaient jamais été membres du parti. Il n'y a jamais eu de nazis en Allemagne !..."
En ces lendemains de guerre, les vainqueurs déploient leurs cartes d'état-major et se partagent l'Europe. Ils rangent chaque peuple dans une case aux contours strictement délimités. L'Allemagne cède l'Alsace-Lorraine à la France. Le droit du sol de la République française est transformé de facto en droit du sang. L'Etat français instaure exceptionnellement en Alsace un droit allemand.
Mes grands-mères s'appelaient Marthe et Mathilde. Leurs prénoms commençaient par les deux mêmes lettres. Elles étaient nées la même année, en 1902. Mathilde, le 20 février. Marthe, le 20 septembre. Elles moururent l'une après l'autre en 2001. A quelques semaines d'intervalle, tout au début du nouveau siècle et à la veille de leur centième anniversaire.
Alice était une vieille fille sacrifiée au bien-être de la famille. Une de ces âmes dévouées qui n'existent plus aujourd'hui. Elle s'occupait des vieux, des malades, des tombes, des déclarations d'impôts de toute la famille, de la gestion et de la réparation des immeubles dont les deux soeurs avaient hérité de leur père. Elle n'avait pas de vrai statut. Marthe et Mathilde étaient les grands-mères toutes-puissantes. Elles se partageaient les premiers rôles. Tante Alice était une figurante dont le scénario familial aurait aisément pu se passer.