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Critique de enjie77



J'ai trouvé ce livre excellent, très bien documenté sur le plan de la grande Histoire. Fabrice Humbert a effectué un travail de recherche assez précis, fouillé, faut-il y voir une part d'autobiographie ? Je ne sais pas, mais sa quête autour de la violence n'est pas anodine.
Il balaie énormément de thématiques et foisonne de pistes de réflexion : ce qui m'a valu quelques difficultés à canaliser ma pensée et j'espère que mon commentaire ne vous paraîtra pas trop embrouillé.

Cet ouvrage entre en résonnance avec une de mes dernières lectures, celle du livre de Géraldine Schwartz « Les amnésiques», non moins excellent, qui soulève aussi la problématique du transgénérationnel que ce soit chez les descendants de victimes du nazisme comme chez les descendants des tortionnaires. Rien n'est anodin, ce n'est pas pour rien que nous sommes nombreux et nombreuses à nous intéresser à cette période de l'Histoire car c'est de notre humanité dont il est question, c'est le miroir qui nous est proposé.


Fabrice Humbert nous convie à une réflexion sur le transgénérationnel, les secrets de famille, les mensonges, l'importance des racines, en mettant en scène un jeune professeur de français dans un lycée franco-allemand qui au cours d'un voyage de fin d'année scolaire, à Buchenwald, va découvrir une photographie exposée d'un déporté ressemblant trait pour trait à son propre père. A partir de cet instant, le narrateur ne laisse aucun répit à l'Histoire, à son histoire familiale et aux secrets de famille. Cette enquête l'amènera à tenter de mieux cerner l'origine de sa propre violence intérieure, ses terreurs nocturnes, lui qui est d'un naturel très doux. Pourquoi sa mémoire ne retient-elle que la violence et l'angoisse ?

Ce roman se décompose en deux parties. J'ai trouvé la seconde partie bien qu'intéressante, parfois un peu longue. Mais elle était nécessaire pour étayer le propos.

Dans cette fiction, j'y ai retrouvé les mêmes questionnements et les mêmes conséquences sur l'inconscient familial des ascendants. Cette fameuse éducation silencieuse qui s'est transmise aux enfants nés après le retour des camps, la deuxième génération, et à qui personne n'a soufflé mot, il fallait oublier et vivre. Ensuite est arrivée la troisième génération, celle qui a fait appel à la psychothérapie afin de tenter de comprendre comment cette éducation silencieuse s'était subrepticement infiltrée dans son inconscient, altérant ainsi la perception du monde, et empêchant cette génération de redevenir « un Homme debout ». Toute persécution, tout traumatisme, doit être élucidé afin de pouvoir tenter de reprendre sa vie en mains. Cette quête vers l'authenticité est salutaire à celui qui veut se comprendre même si c'est un long chemin. Comme me disait une amie « ce n'est pas le chemin qui est difficile mais c'est le difficile qui est sur le chemin ».

Le narrateur évoque Dante, dans quel cercle de l'enfer sommes-nous ? Ou le Jugement dernier de Jérôme BOSCH. le Mal pourquoi de Mal. Il associe l'enfer moyenâgeux aux camps de concentration :

« Les camps de concentration sont l'enfer réalisé parce que le terrible mélange d'un ordre de fer et des plus affreuses pulsions humaines a fait surgir sur la terre tout ce que des représentations séculaires avaient imaginé. Les camps sont l'Homme. Entrer dans un camp c'est pénétrer dans un délire glacé dénué de toute autre signification que la destruction, la souffrance et la mort. » (page 89)

C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture de la première partie. Je voyais la porte de l'enfer du baptistère de Florence, la porte de l'Enfer de Rodin. le Mal traverse les siècles sans jamais s'alléger. Fabrice Humbert regarde le mal absolu droit dans les yeux et son écho à travers les générations, il met en scène le traumatisme de ce jeune professeur et je l'ai suivi même si par moment, devant autant de violence, je me suis retrouvée en apnée un peu comme dans Transit d'Anna Seghers : où est la sortie ?

C'est un livre brillant aussi philosophiquement. C'est un parcours personnel qui cherche à exorciser le mal et la violence, à trouver les réponses sur l'origine de sa propre violence mais malheureusement, le mal absolu fait partie intégrante de l'être humain, c'est juste une question de contexte, de choix conscient aussi, c'est évident que je me préfère du côté des Justes que du côté des collabos.

Note personnelle : La psychogénéalogie m'a beaucoup interpellée, je me suis passionnée pour la généalogie et j'ai fait des découvertes qui m'ont incitée à approfondir cette loyauté invisible qui nous pousse à répéter des évènements douloureux comme certaines pathologies qui finissent par être expliquées grâce à la généalogie ou bien des dates récurrentes sur plusieurs générations : ce que le professeur Anne Ancelin Schutzenberger appelle les syndromes d'anniversaire.

Si vous êtes intéressée par le transgénérationnel, je vous renvoie à l'étude particulièrement passionnante du professeur Anne Ancelin Schutzenberger dans « Aïe mes aïeux » qui se lit très facilement et n'ai pas réservé à un public averti.
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