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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Y a des fleurs de maïs qui ont descendu un soie de maïs et foutu le feu à une centaine de barques puis ils sont partis tout saccager dans la campagne. On les a coffrés mais ils vont pas moisir longtemps en taule. Y a des gars qui sont prêts à les faire sortir de là à coups de masse si le shérif refuse d'ouvrir la porte. »
Bud Lancer annonce ainsi à son employée, la plantureuse et rousse Ottie Lee, le lynchage prévu à Marvel et dans la foulée il part avec elle vers le lieu des réjouissances annoncées, en embarquant au passage son mari, Dale.
C'est Ottie qui raconte leur parcours chaotique pour se rendre dans cette petite ville de l'Indiana proche de chez eux vers laquelle tous convergent, mais qu'ils semblent ne jamais devoir atteindre, Ottie portée par la certitude qu'il va lui arriver quelque chose, une amie à elle qui dialogue avec les anges le lui a annoncé.
Calla Destry, de son côté, fleur de maïs au teint clair âgée de seulement seize ans, décide elle aussi de partir pour le tribunal de Marvel, inconsciente des risques courus et animée seulement par la révolte qui l'habite.
Une destination, deux femmes, dont les chemins finiront par se croiser …

Dans « La route de nuit », il fait chaud, très chaud. Ce qu'on ressent à la lecture et par la force du thème qui renvoie aux heures les plus atroces de l'histoire des afro-américains (l'auteur s'est inspiré des événements survenus le 7 août 1930 dans le comté de Grant (Indiana) et d'une photo montrant la liesse des participants aux lynchages, juste sous les corps des deux Noirs qu'ils ont pendus … ), c'est cette moiteur malsaine qui englue tout, les corps et les esprits, des esprits qui, pourtant, restent conscients de ce qui se passe et de ce qu'ils font.
La première partie du roman, celle où Ottie Lee parle, la met en scène avec les personnages qui l'entourent. Dans ce petit théâtre en plein air, c'est un condensé d'humanité qui s'agite, avec ses failles et ses lâchetés, ses éclats d'honnêteté, des gens ordinaires traînant avec eux tout ce qu'ils ont été (Ottie Lee et son enfance désastreuse qui remonte par bribes), en route vers quelque chose d'extraordinaire mais toujours focalisés sur eux-mêmes. Il y a pourtant des moments où leur route pourrait bifurquer, où l'occasion leur est donnée de prendre du recul comme lorsqu'ils croisent la veillée de prière organisée contre le lynchage, mais soit ils se contentent de suivre passivement le mouvement, soit ils font directement des choix (je pense à l'épisode du chariot) dans la ligne de ce qu'ils ont enclenché.

L'écriture, sinueuse, colle à la peau d'Ottie et, toute littéraire qu'elle soit, avec son foisonnement d'images mais aussi ses passages plus parlés car l'auteur mêle les registres, fonctionne parfaitement : elle nous offre les réflexions et les songes traversant l'esprit de la jeune femme et le personnage se dresse là, entier, dans toute sa complexité, agité sous sa superficialité de surface (une belle plante qui laisse son patron la tripoter pour arrondir les fins de mois) d'envies d'autre chose, rêvant parfois d'un avenir un peu meilleur où, entre autres, on pourrait « oublier les lynchages », comme s'ils faisaient partie du monde dans lequel elle vit et qu'elle ne sait pas (ou qu'elle ne veut pas ?) remettre en question.

Comme Ottie, Calla Destry a connu l'orphelinat, avant de vivre avec ceux qu'elle appelle oncle d'et tante V. Avec Hortensia, ils ont préféré partir en ce jour funeste mais Calla ne les a pas suivis, elle avait un pique-nique prévu au bord de la rivière. Parce qu'elle s'est retrouvée seule à son rendez-vous, elle emprunte la grosse berline jaune de ses parents adoptifs, et prend la route de Marvel, où elle et ses actions ne passent pas inaperçues …
Dans cette seconde partie du roman, l'atmosphère se fait encore un peu plus oppressante car le lecteur s'inquiète pour Calla, jeune fille résolue et téméraire que sa bravoure met en danger. L'hostilité entre les fleurs et les soies de maïs est abordée de manière frontale (y compris telle qu'elle se manifeste chez les enfants), elle peut même surgir quand il n'y aurait pas lieu (Calla rejetant l'attitude apaisante d'un soie de maïs comme s'il était trop tard, trop de limites franchies).

Le récit, habilement construit, agrippe ses deux pans initialement distincts pour les réunir. Certain personnage, déjà rencontré avec Ottie, s'avère de manière surprenante lié à Calla, comme s'il incarnait toutes les facettes ambigües des comportements, l'intime parfois en totale contradiction avec les prises de position publiques.

Chez Laird Hunt, il n'y a pas de Noirs et de Blancs mais des fleurs et des soies de maïs, une ville peut s'appeler Marvel et une carte l'entourer de chemins d'argent, des chiens porter cravate, une présence s'avérer absence, une voiture se couvrir d'yeux scrutateurs et une jeune femme décider de danser dans un champ de maïs. En la teintant d'étrangeté, « La Route de nuit », brûlante, habille la réalité d'une mystérieuse beauté, où la cruauté des faits évoqués brille d'un insoutenable éclat.
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A nouveau avec Laird Hunt un grand moment de lecture. L'influence des écrivains du sud américain est plus présente ici que dans les romans précédents et j'ai même à un moment fait le lien avec Erskine Caldwell !
Le thème du lynchage de noirs dans un état, l'Indiana, où l'alliance KKK-shérif-église fait toujours des ravages dans les années 1930, soit 80 ans après l'abolition de l'esclavage, n'est pas une nouveauté dans la littérature américaine mais reste très choquant pour un lecteur européen.
Laird Hunt réussit, comme toujours, à captiver son lecteur par un ensemble qui mèle l'unité de temps (24h en tout) avec des réminiscences d'éléments traumatisants du passé des femmes qui prennent successivement le récit à la première personne : Ottie, la "soie de maïs" qui court à la fête malgré un sentiment de malaise grandissant, Calla la "fleur de maïs" qui tente d'intervenir contre les défilés mais risque sa peau elle aussi et sent la haine la submerger, et la "dealeuse d'anges", un peu déphasée depuis un traumatisme cranien mais qui tente de réconcilier les oppositions.
Quoique le final m'ait un peu laissé perplexe, l'atmosphère oppressante et les personnages apparaissant autour de ces 3 figures m'ont vraiment passionés et justifient largement le détour par ce roman d'un auteur américain contemporain qui sait perpétuer et même renouveler une certaine tradition du roman sudiste américain.
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Deux personnages et demie dans ce roman ou l'action se situe essentiellement dans la tête des personnages en question. C'est quelque part intimiste, mais c'est surtout violent même si paradoxalement dans le déroulé lui-même il n'y a pas de violence. C'est un roman très particulier qui dénonce une fois de plus cette Amérique réelle, celle qui n'existe pas dans le discours dominant et médiatique, à ce demander si elle existe dans la tête des Étatuniens eux mêmes... Cette Amérique de peur et de haine.
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Un livre assez étonnant qui m'a déstabilisée plus d'une fois. Comme si j'étais au-dessus de cette route de nuit, vers Marvel, lieu du lynchage et que je regardais de là-haut les hommes et femmes qui se rendaient au « spectacle ». Je ne doute pas qu'il déboussolera les lecteurs mais c'est une expérience de lecture assez intéressante.
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J'ai eu beaucoup de peine à rentrer dans ce roman, et je ne suis même pas certaine que l'on puisse à aucun moment entrer pleinement dedans, car l'écriture instaure constamment une distance avec les personnages. Et pourtant... quelque chose accroche, et l'on se prend au jeu - on suit les errances de ces femmes dans un environnement hostile, oppressant, macho, raciste... dans lequel toutefois un peu de magie parvient à opérer. Bref, une lecture exigente, mais très intéressante, dans son fond et dans sa forme.
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