Il ne se passa pas grand-chose de plus lors de cette visite de ma mère et de mon père. Le matin de leur départ, pendant qu'ils se préparaient, je leur dis que j'étais navrée de les voir s'en aller, et que j'espérais que mon mari et moi pourrions leur rendre un de ces jours la délicate politesse qu'ils nous avaient faite. Mon père était près de moi quand je dis ces mots et il se tourna pour me dire que lui n'était pas navré. Que tout ce qu'il voyait dans cette superbe propriété, avec ses champs, ses demeures et ses porcs, était sombre, et qu'il y en avait encore à venir. Que je n'aurais jamais dû les quitter, qu'il n'y était pas pour rien, mais que, maintenant que c'était fait, je ne pourrais jamais plus revenir. Qu'il y avait des choses dans ce monde et dans l'autre qui commençaient sans qu'on pût jamais les arrêter.
Sous la pluie, nous parlâmes des jours anciens. Dans sa jeunesse, ma femme avait vécu au bord de la mer, et elle aimait à songer aux façons dont le monde autour d'elle ressemblait au monde qui continuait à vivre dans sa tête. Elle aimait aussi les différences entre ce monde et l'autre, ce qui me faisait l'aimer plus encore.
Jadis, j'ai vécu en un lieu peuplé de démons. J'en étais un aussi. (p.33)
Les porcs faisaient un bruit quand on leur dérobait la vie, et ce bruit est demeuré avec moi dans un coin de ma tête. Un porc est un animal sensible. Il sait ce que vous lui faites et il sait pourquoi. Un porc sait observer.