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Critique de NMTB


NMTB
20 décembre 2014
Trois livres sont réunis dans ces Ecrits sur l'art : L'art moderne publié en 1883, Certains en 1889 et Trois primitifs en 1905. On peut y suivre l'évolution de Huysmans durant cette fin de siècle. Dans L'art moderne, Huysmans est en pleine période naturaliste. Il admire Zola et, à sa suite, est soucieux de rendre avec le plus de vérité possible la vie ouvrière et parisienne. L'ensemble des comptes-rendus des salons de 1879 à 1882 (le contenu de ce premier ouvrage) reflète principalement cette préoccupation. Ceci, amalgamé aux théories de Baudelaire sur l'art comme expression de la vie moderne, explique presque toutes les critiques de Huysmans. La lutte entre les peintres officiels et les indépendants est à son paroxysme. Huysmans prend parti pour les indépendants qu'il confond avec les impressionnistes et les peintres de la vie moderne. Aussi, c'est au pas de charge qu'il parcourt les travées du salon officiel et c'est très succinctement qu'il juge ce brouillamini inepte et non-inventif de peintures mythologiques, historiques ou militaires ; à part Gustave Moreau (mystique égaré dans le Paris moderne), Fantin-Latour et Manet, bien peu retiennent son attention. C'est dans le salon des refusés ou des indépendants qu'il trouve davantage son bonheur. Les impressionnistes d'abord, qui se sont libérés des conventions coloristes pour rendre la vérité des paysages, tels qu'ils les voient ; même s'il regrette leur tendance à trop s'attacher, justement, à l'impression et qu'il les compare, parfois, aux hystériques de Charcot dans leur obsession à vouloir tout colorer en bleu et en lilas, quitte à oublier la vérité du paysage. Plus encore, Degas ou le négligé Raffaëlli, l'enthousiasment. Ils sont, selon lui, les dignes représentants des peintres de la vie moderne qu'appelait de ses voeux Baudelaire. Les ouvriers, les banlieusards, les danseuses, les parisiennes, leurs carnations, leurs mouvements, leur trivialité, leur vivacité, tout cela Degas et Raffaëlli ont réussi à le rendre parfaitement. Mais son intérêt pour des peintres comme Gustave Moreau ou Redon dénote déjà des préoccupations nouvelles où la mysticité et le rêve auront une grande importance. Dans Certains qui est un recueil de divers commentaires sur l'art, en majorité sur des peintres contemporains, publié en 1889 (c'est-à-dire après A rebours et avant Là-bas) commence à se faire jour sa future conversion ; la religion catholique est envisagé sous son aspect lumineux et miséricordieux, à jamais perdu, de l'art primitif flamand, du gothique et du moyen-âge en général, mais surtout son envers, le côté noir, satanique de l'époque moderne. Deux articles ont explicitement pour sujet le Mal : un sur les représentations des monstres à travers les âges et un autre consacré à Félicien Rops. Particulièrement éclairant sur ce que fut sa parenthèse sataniste, cet article nous montre bien le cheminement étrange par lequel il a abordé le catholicisme. de nouveau, Huysmans se trouve dans la tortueuse lignée d'un Baudelaire ; il subodore que le versant noir du christianisme, dans une époque on ne peut plus exécrable, est la seule voie praticable vers la spiritualité. Ainsi, on ne peut pas parler d'une véritable rupture avec le naturalisme mais d'une continuité non dépourvue de logique. L'époque est laide, le mal y suinte de toute part et c'est ainsi qu'il faut la représenter, dans toute sa vérité. Selon Huysmans, Rops a fourragé l'ordure, non pas pour la laisser macérer dans un matérialisme d'une vulgaire et tépide obscénité mais pour la spiritualiser. Cette spiritualisation, Huysmans la nomme hystérie mentale à la suite des scientifiques ou délectation morose comme les catholiques. Il y a donc conscience du péché, tristesse, mais qui tragiquement s'amplifie encore dans sa délectation. Rops fut le peintre de la luxure de l'âme, des corps extranaturels, du Mal intemporel, personnifié par l'allégorie de la femme démoniaque, et en cela il a fait une véritable oeuvre catholique. C'est en tout cas le point de vue, à peu de chose près, de Huysmans, dont la misogynie, par ailleurs et entre autre, le rapproche de plus en plus de l'Eglise. À la suite de cet article, et sans transition, Huysmans a écrit une de ces réjouissantes diatribes dont il avait le secret contre le monde contemporain. Il y commente les prix atteints par de piètres peintures lors d'une vente commise dans l'honnie et négociante Amérique et réinvente la question, plus chinoise dans son raffinement que moyenâgeuse, à laquelle on pourrait soumettre encore aujourd'hui les indigentes crapules du marché de l'art contemporain, trop occupées par d'étroites vues spéculatives pour stimuler ce dont elles sont de toute façon dépourvues, esprit et imagination. Partout, disséminée dans ce livre, on retrouve cette haine de la laideur contemporaine, en particulier dans l'architecture. Tout Paris est laid, ses larges avenues où l'on étouffe, sa grise mine, ses bâtiments faits de bric et de broc et Huysmans, dans sa pondération habituelle, préconise en toute simplicité de brûler Paris, pour rendre enfin cette ville à peu près vivable… Que les ruines ne soient plus médiévales mais modernes ! La dernière étude sur Trois primitifs relève plus d'un travail d'historien de l'art que de la critique. On est maintenant bien loin des impressionnistes et des indépendants, c'est de peinture religieuse dont il s'agit, mais lorsque Huysmans encense Grünewald, peintre « à la fois naturaliste et mystique, sauvage et civilisé, franc et retors » il le fait non seulement pour l'impression de tumultueuse violence qui rejaillit de ses crucifixions, mais aussi parce que Grünewald a peint les allemands de son temps et les paysages souabes qu'il avait sous les yeux, comme il sied à tout peintre de la vie moderne, sans imiter les autres maîtres et les vieilleries antiques ou italiennes. Cependant, on sent bien que Huysmans est maintenant acquit à la cause catholique et pas la moins traditionnaliste qui soit, notamment quand il relate sa visite d'un musée de Francfort-sur-le-Main, « capitale des banques », « métropole de la franc-maçonnerie », « douaire des juifs », où il fait preuve d'un antisémitisme du plus bas étage, avec cheveux crépus, nez crochus et tout le tintouin usité habituellement par les personnes qui cultivent ce genre de marottes. Mieux vaut s'en tenir à sa description du musée où se côtoient un portrait de Lucrèce Borgia et la madone d'un maître flamand ; « elles magnifient, à elles deux, l'institut Staedel devenu, grâce à leur présence, unique, en ce sens que nulle collection ne recèle ainsi les deux antipodes de l'âme, les deux contreparties de la mystique, les deux extrêmes de la peinture, le ciel et l'enfer de l'art. » Des descriptions qui tout le long de ces trois livres sont écrites dans une langue savante, précise, innovante. L'une des plus belles écritures françaises de la fin du dix-neuvième siècle.
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