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Critique de Presence


Il s'agit d'une histoire complète et indépendante, d'abord publiée sous la forme de webcomic, puis sus format papier pour la première fois en 2010.

L'histoire s'ouvre sur une femme assise sur une chaise qui attend sagement que quelqu'un vienne l'interroger. Il y a pour tout ameublement une table nue et 2 chaises. Un homme entre, il porte un plateau avec une carafe et 2 verres. Il sort et un autre homme entre apportant une liasse de feuillets qu'il pose sur la table. Les feuillets s'envolent vers le haut. La scène change pour un retour en arrière. Dans une gare parisienne, 2 femmes se sont leurs adieux. Il est évident qu'elles sont liées par les liens du sang et que celle qui part usurpe l'identité de sa soeur pour bénéficier de ses papiers en règle. L'histoire se déroule pendant la seconde guerre mondiale à Paris, sous l'occupation. Une personne pénètre dans la pièce de la première scène pour interroger la jeune femme. Il apparaît qu'elle est une conservatrice de musée qui fait tout son possible pour que les oeuvres d'art du musée où elle travaille ne disparaissent pas et soient pas emmenées par l'occupant allemand. de son coté, l'officiel allemand tente de comprendre comment sont gérées ces oeuvres d'art, afin de pouvoir rapatrier les plus pertinentes en Allemagne. Il s'en suit une partie de cache-cache, d'affrontement de volonté et même confrontations de convictions.

L'éditeur Top Shelf est spécialisé dans les comics qui sortent de l'ordinaire et dont les auteurs ont une certaine ambition littéraire (ou autre). J'ai donc été assez surpris de voir apparaître un récit des époux Immonen dans leur catalogue. Madame (Kathryn) s'est plutôt fait connaître en écrivant des séries de superhéros (par exemple une aventure des Runaways Homeschooling en VO, ou une aventure de Wolverine & Jubilé, ou de Pixie) et son époux (Stuart) en les dessinant (par exemple les New Avengers de Bendis dans Siège ou les Nextwave de Warren Ellis). Ici, aucun superhéros et un récit très ambitieux en termes de narration qui s'adresse à des adultes prêts à faire un effort de lecture.

Pour commencer, les illustrations de Stuart Immonen n'ont rien à voir avec le style qu'il emploie pour les histoires de superhéros. Ici il utilise une approche très dépouillée et stylisée et il utilise le noir & blanc. Les visages se rapprochent du simplisme des smileys (à l'opposé du photoréalisme). Il y a un simple trait pour chaque sourcil et un simple point pour figurer l'oeil. Malgré cette approche minimaliste, les expressions des visages traduisent des sentiments complexes. Chaque personnage dispose d'une morphologie qui le rend unique et tous les visages sont distincts les uns des autres. Stuart Immonen fait preuve d'une grande maîtrise formelle dans chacune de ses illustrations et dans la composition de ses planches. Il n'a recours qu'à des formes géométriques les plus simples possibles, avec des à-plats de noir massifs qui mangent parfois les visages. Son style oscille entre des personnages rendus à la manière d'Hergé, des décors (en particulier les rues de Paris) qui évoquent parfois le travail de Tardi, et des cases qui s'approchent de l'abstraction par l'utilisation de formes géométriques pour l'ombre qui mange les détails tout en faisant apparaître de singulières compositions. L'ensemble de ces approches graphiques s'amalgame harmonieusement pour un résultat d'allure trompeusement simple et très facile à lire. Il s'en dégage une ambiance noyée dans les zones d'ombre, qui convient parfaitement à ce récit sophistiqué.

Kathryn Immonen construit son récit sur 2 temps différent : celui de l'interrogatoire et celui des retours en arrière qui éclairent peu à peu les circonstances. Tout n'est pas explicite et il appartient au lecteur de relier les points du récit entre eux, ainsi que de déduire les motivations des personnages à partir des dialogues. L'enjeu relatif aux oeuvres d'art des musées parisiens correspond à une réalité historique de la période retenue (la seconde guerre mondiale). Mais l'enjeu de la partie qui se joue entre Ila Gardner (la conservatrice) et Rolf Hauptman (l'officier allemand) ne se limite pas à la conservation de ses éléments patrimoniaux. L'un comme l'autre, ils sont confrontés à l'absurdité de leur situation et à la perte de repère quotidien du fait de la guerre. En particulier, Ila Gardner constate chaque jour la disparition arbitraire des individus qu'elle a l'habitude de côtoyer, tel que son boulanger. Cette réalité mouvante contraint les individus à remettre en question le sens de leurs actions, le sens de leur vie. Immonen emmène le lecteur vers un questionnement philosophique (s'apparentant au point de vue de Martin Heidegger) tout en restant dans le registre d'une histoire simple. Et puis, au fur et à mesure que l'affrontement des convictions des 2 personnages avance, il apparaît que la question du classement des oeuvres d'art peut se transposer à celui des humains imposé par le nazisme.

Je ne m'y attendais pas : à partir d'un récit tout simple et d'illustrations toutes simples, les époux Immonen emmènent leur lecteur au travers d'interrogations existentielles complexes. Il n'y a pas à proprement parler de résolution dans ce récit, il s'agit plus d'un voyage qui transforme les personnages principaux. La guerre n'est qu'un danger diffus de tous les jours ; il n'y pas de méchants soldats nazis caricaturaux. Il y a des circonstances extraordinaires qui font perdre leurs repères et leur cadre de référence à des individus normaux.
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