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Critique de Musa_aka_Cthulie


Je me souviens d'avoir lu La cantatrice chauve toute jeune, à seize ans - oui, car je n'étais pas tout à fait aussi précoce qu'Orson Welles, qui exigea à trois ans qu'on lui fournisse le roi Lear dans le texte. Quelques temps plus tard (j'avais alors atteint l'âge canonique de dix-sept ans), un prof de français parle à ma classe de la pièce (celle de Ionesco, pas celle de Shakespeare ; ça n'aurait aucun sens si je commençais à pérorer sur le roi Lear dans une critique concernant La cantarice, ce serait parfaitement insolite, voire absurde). Bref, le prof en question veut savoir si quelqu'un l'a lue et, pour mon malheur, je réponds que oui. Ce qui entraîna de fâcheuses conséquences, puisqu'il voulut savoir ce que j'en pensais et que je répondis naïvement que je l'avais trouvée drôle mais que je n'avais rien compris. Regard atterré de sa part : il me prit aussitôt pour une sombre idiote, tandis que je décidai en mon for intérieur qu'il ne fallait jamais dire ce qu'on pensait à un professeur, quelle que ce soit la discipline qu'il enseignât. N'empêche... Je me rends compte aujourd'hui que ma réponse était tout à fait pertinente, étant donné que cette pièce est faite, justement, pour plonger le lecteur/spectateur dans un univers de non-sens.

Ionesco a largement commenté cette pièce tout au long de sa carrière, multipliant les commentaires plus ou moins contradictoires ; quant aux critiques, ils en ont donné mille interprétations : bien malin qui se vantera d'avoir trouvé la bonne. Toujours est-il qu'on sait que la genèse de cette pièce est due à la tentative d'apprentissage de l'anglais via une méthode Assimil par Ionesco, qui le plongea dans des abîmes de réflexion, les personnages présentés dans le manuel (deux couples, les Smith et les Martin) affirmant des vérités aussi évidentes que stupéfiantes que "Nous vivons à Londres et notre nom est Smith", tout en utilisant des expressions idiomatiques (en anglais, naturellement, ce qui, sinon, n'aurait pas de sens). Je crois pouvoir affirmer que beaucoup d'entre vous ont dû avoir droit à ce genre de pédagogie à l'aide de manuels particulièrement bien pensés (ah, que de souvenirs impérissables!) Ceci explique donc cela : je veux dire que la forme et l'idée de départ de la cantatrice chauve prennent racine dans cette rencontre de Ionesco avec la méthode Assimil.

Ce que, personnellement, je retiendrai de la cantatrice, au-delà des passages comiques, burlesques, ridicules, grotesques et délirants (ah, le passage avec les Bobby Watson, ah, le raisonnement sur les coups de sonnette à la porte d'entrée !!!), c'est ce travail sur le langage qui est au centre de sa conception. Un langage vidé de son sens, ce qu'on sent particulièrement à travers les répétitions de mots ou à travers des dialogues à base d'échanges de proverbes, de jeux de mots, d'expressions idiomatiques. Les personnages, sans caractère, y sont dénués de toute personnalité, à tel point qu'ils sont interchangeables. Finalement, ce qui ressort de la cantatrice, c'est l'image d'une société aseptisée où on ne réfléchit plus mais où l'on parle par mécanisme, où l'on ne sait pas communiquer (et d'autant plus si l'on a rien à dire), où l'on ne peut pas se faire comprendre, où toute discussion se termine sur un conflit.

Pour autant, je ne suis pas une adepte de la pièce. Il est clair que lorsqu'on est jeune et qu'on a pour seules références des dramaturges comme Molière, Marivaux ou Racine, on est quelque peu stupéfié par cette fameuse Cantarice chauve. Mais une fois passé le temps de l'étonnement, puis celui de l'analyse (même superficielle), je ne la trouve pas si passionnante que ça. Je n'ai pas l'impression que je pourrais la lire dix fois et y trouver à chaque fois des merveilles, et, surtout, je n'ai pas envie de la lire dix fois. Son aspect très répétitif me rebute un peu, et je trouve qu'on se lasse facilement de son côté ludique, malgré un format assez court. Après tout, c'était la première fois que Ionesco s'essayait à la dramaturgie, ce qui explique sans doute ses défauts (du moins les défauts que je lui trouve) et peut-être est-elle plus intéressante en tant que partie d'un corpus qu'en elle-même. J'essaierai tout de même de trouver une captation vidéo de sa mise en scène par Jean-Luc Lagarce : peut-être découvrirai-je par cette entremise des trésors que je ne soupçonnais pas jusque-là...
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