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Critique de JLBlecteur


J'avais adoré ‘la petite femelle' et ‘la serpe', deux de ses ‘anciens' écrits aussi, la perspective de me relancer dans la lecture d'un pavé de 730 pages de Philippe Jaenada ne me faisait ressentir aucune appréhension.
Au contraire, j'avais hâte de retrouver sa plume et son style unique qui avaient su m'emporter dans ses récits où l'histoire qu'il nous narre (des faits divers réels souvent sordides) et son quotidien d'auteur-enquêteur s'entremêlent pour donner un résultat singulier, à la fois patiné de curiosité parfois malsaine et de travail d'investigation hyper-pointu et enthousiasmant, une plongée spatio-temporelle au plus proche de l'événement conté.

Le titre, déjà, ‘au printemps des monstres' (on en comprendra la référence en cours de lecture) c'est une promesse aventureuse et morbide, lumineuse et sombre à la fois, celle de naviguer, mais en apnée, dans un marigot sous oxygéné.

Et la photo de couv', énigmatique et vintage ! Qui est cette femme qui nous entrouvre une porte sur cette époque révolue mais génératrice de tant d'affaires souvent glauques mais ô combien attirantes ?!

La promesse d'un ailleurs, d'un autrefois
Je plonge.

Il va être question du 27 mai 1964 et de la découverte du pauvre cadavre d'un petit garçon de 11 ans en short à petits carreaux, au pied d'un chêne au coeur d'une grande forêt à quelques lieues de Paris : Luc Taron ! Question surtout de la sordide théâtralisation de cette découverte et de la difficile enquête qui a suivi pour débusquer celui qui sera considéré comme l'assassin, Lucien Léger.
Ça donne envie, non ?

Jaenada, comme dans ses précédents ouvrages, détaille de façon quasi chirurgicale de médecin légiste l'ensemble des innombrables données qu'il a collectées au cours de son enquête minutieuse à savoir, les archives de la police, de la justice, les différents journaux de l'époque, les émissions de radio comme de télé et les ouvrages précédents consacrés à cette affaire. Il se rend aussi sur place pour se confronter à la topographie des lieux ou visualiser la végétation, évaluer les éventuels délais nécessaires à certains déplacements et surtout pour se laisser envahir par l'atmosphère particulière des endroits cités dans ses documents. Il nous emmène et nous emporte dans cette affaire d'enlèvement funeste comme si nous enquêtions avec lui. On décortique les pièces du dossier, on déchiffre les minutes, on débusque les incohérences, on écoute les intervenants comme si nous étions chargés de mener les investigations. Et l'avalanche de détails ne nuit pas. On savoure, on s'en délecte !

On a droit à quelques digressions aussi, comment la petite fille d'un de ses amis a fait la connaissance de Jésus (!), quelques infos sur la jeunesse de Patrick Modiano et même la nécessité imminente que l'auteur ressent de…se couper les ongles des orteils, son opération d'un kyste… !

On va découvrir qui est accusé d'avoir assassiné le bambin (Lucien Léger donc) et d'avoir créé de toutes pièces le cynique personnage de ‘l'étrangleur' qui va terroriser la France un certain temps en inondant le pays d'aveux circonstanciés hyper détaillés et morbides. On va ensuite assister à son singulier procès où il va réussir à échapper à la peine capitale encore en vigueur à cette époque mais pour prendre perpète (réellement) !

Seulement, nous n'en sommes encore que vers la page 250 (sur 730 je le rappelle, un tout petit plus du tiers) et là (hélas) nous allons nous embourber dans les délires hystériques et paranoïaques du prisonnier qui purge sa peine en relançant, en permanence et par écrit, des variations sur le même thème du ‘je suis innocent et je couvre un ami qui est…, non je ne peux pas le dire'

Et là, j'avoue avoir eu furieusement envie de refermer cet ouvrage, l'auteur déviant (dérivant) et aiguillant son enquête vers ces trop nombreux nouveaux personnages (pour certains fictifs) …en manquant de me perdre, malheureusement.

Trop c'est trop !! Consistant, d'accord, étouffe chrétien, je passe mon tour.

Dommage, je vais en rester là (las) me suis-je dit, après avoir apprécié et englouti la première partie du livre (et donc l'histoire principale que, trop jeune, j'ignorais totalement),  j'abandonne ces méandres trop tortueux qu'emprunte la narration pour voguer vers un autre livre moins…indigeste !!

Dommage !! Dommage !! Et même (3 fois) Dommage !

Mais finalement, je me découvre pugnace et je m'accroche, espérant que ce ventre mou un peu trop alimenté allait déboucher sur des chapitres plus essentiels, plus digestes et de nouveau capables de me recaptiver. Et ce qui va m'intriguer alors, c'est que nous n'en sommes qu'à la page 284/731, donc pas encore à la moitié et pourtant, le principal protagoniste, celui qui a été condamné pour assassinat, est mort en solitaire et enterré en toute discrétion après plus de 40 ans de captivité  ! Qu'est-ce qui va donc faire la moelle du reste du livre ?

La contre-enquête !
Jaenada enfile sa parfaite combinaison de fin limier dégourdi pour démontrer que les différentes enquêtes menées ‘à l'époque' l'ont été sur du vent, sur des allégations insensées et facilement démontables. Et nous repartons (comme en 14) en 64  mais pour tout dynamiter ! Objectif : démontrer que nous sommes face à une erreur judiciaire et que Léger ne peut pas être le criminel !
Et il y a matière à douter quand l'auteur détricote la version officielle à la lumière de sa conviction nouvelle, Léger n'est l'auteur QUE des lettres de revendication mais PAS du meurtre !

Mais pour défendre Léger, il faut du lourd (facile) et l'auteur, comme à son habitude, va donner de sa personne pour étayer sa thèse n'hésitant pas à mettre en cause le mode de défense établi par Maurice Garçon, éminent ténor du barreau  d'alors.
On rejoue toute la pièce, brigadier, levé de rideau !

Enfin, en dernière partie, l'auteur fait la part belle à Solange, la femme du condamné (à tort ?) en dressant un portrait exhaustif de celle à qui son mari vouait une attention sans limite (et qui, finalement, semble réciproque si l'on en croit la très dense correspondance qu'ils échangent). Un portrait naturaliste d'une triste banalité en fait qui balaie son enfance comme la période couverte par l'affaire Taron et sa fin, tragique et mystérieuse.

Un livre, un marathon (ou j'ai déploré quelques longueurs), un plaidoyer, une plaidoirie, un détricotage en règle de ce que nous pouvons considérer, au minimum, comme une enquête bâclée qui a conduit à une erreur judiciaire dont le condamné s'est quand même montré, pour le moins, complice.

Beau travail (de trois années, je crois), belle lecture que j'aurais préfèrée légèrement plus concise. Sans doute en sera-t-il de même de cette chronique !!
 
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