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Citations sur Néfertiti dans un champ de canne à sucre (5)

[Imaginez quelques secondes la scène. On a tous, ou presque, vécu un jour cet effroyable moment chez le dentiste...]
Tout en me demandant ce que je deviens, pourquoi j’ai mis tant de temps à revenir le voir, bla bla bla, [le dentiste] me guide dans le couloir vers son cabinet, en m’indiquant la route d’une main – je sais pourtant parfaitement où se trouve la salle de torture, ça ne s’oublie pas- […] Il continue à me poser des questions pour distraire mon attention, et qu’est-ce que vous allez faire cet été (rien), et comment va votre chat (bien), tout en m’amenant sournoisement vers le siège de cuir crème, il dit « Installez-vous » comme s’il ne faisait que toussoter et je me retrouve à l’horizontale puis carrément la tête plus bas que les pieds avant d’avoir compris ce qui m’arrivait. Je me fais avoir à chaque fois (je suis ici pour ça, évidemment, je ne comptais pas visiter et ressortir mais c’est tout de même rageant). Les jambes en l'air, je ne peux plus me sauver. Par conséquent, le ton change.
- Bon, qu'est-ce qui vous amène ? [...]
C’est l’instant que choisit la vieille assistante satanique pour apparaître […] Elle ne m’adresse jamais la parole, pas bonjour, rien : inutile de perdre du temps, je suis déjà à sa merci quand elle arrive.[…] L’œil incandescent, elle fonce vers moi et m’enfonce un crochet aspirant au fond de la gorge […] En arrière-plan, ce salopard de dentiste enfile ses gants. Il se retourne vers moi en souriant comme un bourreau sous ecstasy, s’empare d’une sorte de perceuse ingénieusement miniaturisée et m’écarte les mâchoires d’une main puissante. La grosse lampe ronde que l’atroce Andrée braque sur mon visage m’aveugle. Je tourne mes gros yeux affolés de tous les côtés mais il n’y a rien. Je suis prisonnier dans leur royaume de lumière blanche et d’acier […]
- Il faut l’enlever, Monsieur Colas […]
- …
Je refuse de parler, avec ce gros crochet dégueulasse qu’ils ont oublié dans ma bouche, on ne comprendrait rien – je suis suffisamment humilié comme ça.
- Il fallait venir me voir plus tôt.
Sûrement, tiens. Allez, règle-moi mon compte, venge-toi de ma trop longue absence, arrache cette dent qui s’est décomposée en traître et laisse-moi repartir à toute vitesse. Adieu.
On sent que le grand moment approche. Andrée en devient presque frétillante, bondit de tous les côtés, s’agite comme une araignée qui vient de voir un moucheron empêtré dans sa toile -enfin, un peu de piment dans la journée-, tandis que le dentiste ajuste ses gants et vérifie que tous ses instruments de pointe sont bien en place, posément, froidement, en prenant son air des grands jours, son air de chirurgien-dentiste. Je vais déguster. Mais ils ont affaire à un coriace. J’ai du cran à revendre.
- Je vous anesthésie ?
Non, tu n’as qu’à me mettre un bon coup de poing sur la tempe ou me donner une grande rasade de rhum, ensuite tu vas chercher une pince dans ta caisse à outils, tu grimpes sur le siège, tu t’arc-boutes et tu tires de toutes tes forces en poussant des grognements, ça ira.
Il plonge ses gros doigts caoutchouteux dans ma bouche, déforme les lèvres comme s’il essayait de les étirer jusqu’à mes oreilles pour les y accrocher, et me plante dans la gencive une aiguille qui me fait l’effet d’un clou. J’ai mal, Seigneur. Et je sens du liquide qui dégouline de partout.
- Oups, raté.
Du coin de l’œil, je vois Andrée qui grimace. Son chef a commis une boulette. […] Le chef secoue légèrement la tête […] et me repique de derechef. Mais je l’attendais celle-là. Même pas mal. Si, un peu. Mais, je suis un coriace.
Après une attente interminable (« faut le temps que ça prenne ») durant laquelle nous restons à nous observer en chiens de faïence […] on peut enfin attaquer. Eux, surtout.
- Coton, Andrée. […]
A partir de là, je ne ressens plus aucune douleur mais j’entends, et je sens. Le forcené en blouse blanche se met à massacrer ma dent par tous les moyens possibles, il change d’arme sans arrêt, des trucs qui poncent, des trucs qui creusent, des trucs qui pulvérisent, des trucs qui soufflent, il me détruit l’émail avec rage, me charcute la pulpe, me taillade la gencive, il m’écartèle les mâchoires pour s’ouvrir la voie vers le cratère. Il est penché vers moi, son nez touche presque le mien […] Les vibrations que provoquent ses engins hystériques en démolissant ma dent résonnent dans tout mon corps. Je tremble. Des flots de salive et de sang coulent dans ma bouche, les roulettes et foreuses les font gicler et projettent quelques gouttes sur le visage crispé de mon ennemi. Il ne s’en trouble pas et continue à me détruire, implacable. […] Lorsqu’elle lui tend la pince –le tumulte cesse, le sang et la salive baignent ma langue, stagnent dans ma bouche-, je ferme les yeux.
J’entends d’horribles craquements. Les nerfs qu’on arrache, la gencive qu’on déchiquète. Je le sens entre mes lèvres grandes ouvertes : il tourne, comme pour sortir un gros clou d’un mur. […] Dès qu’il me relâchera, je lui mettrai une claque.
CRAC.
Sale type, vicieux.
Bravo, doc.
- Et voilà. Qu’elle repose en paix.
- Erchi.
Je me rhabille mentalement, me rince trois ou quatre fois la bouche avec un liquide rosâtre, crache du sang qui charrie quelques morceaux de moi, les derniers restes terrestres de ma molaire, j’empoche une ordonnance d’antibiotiques et d’antalgiques (« Vous risquez de souffrir un peu, dans les jours qui viennent »), signe un chèque en vitesse et sors en évitant de croiser le regard possédé de la harpie ricanante, je ne veux plus jamais les revoir ces malades.
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Elle porte une grande robe de bal en satin rouge vif, une robe immense et somptueuse que n'auraient peut-être pas osé porter les belles dames du siècle dernier, et des escarpins noirs à talons aiguilles. Ses cheveux sont défaits, avec un papillon rouge et vert étincelant quelque part dedans. Hormis le costume (et le décor), elle ressemble à Néfertiti dans un champ de canne à sucre. Si elle n'était pas si singulière, si impressionnante, les gens lui jetteraient des pierres en ricanant ou se débrouilleraient pour l’empêcher d'évoluer dans ce monde avec sa grande robe.
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– J'aime baiser le matin, ça me tue. Tu te réveilles, tu baises, t'es morte. J'adore ça.
Effectivement, elle n'a pas l'air bien vivante. Il est midi ou une heure, nous sommes réveillés depuis peu de temps, elle est allongée nue par terre sur le dos, une flaque de sang entre les jambes, de la mélasse rose qui coule de la chatte, le visage en sueur et les cheveux qui dégoulinent sur le parquet. Elle est moche ou elle est belle, je n'en sais rien. Belle, je dirais.
– Pendant quatre heures ensuite je suis dans le gaz, je ne vois rien, je n'entends rien, je n'arrive pas à marcher, à parler, rien, j'ai mal au ventre, aux jambes, partout. C'est bien.

Plus tard dans l'après-midi, elle a repris des forces et ça se voit. Elle nage comme une sauvage aquatique dans l'océan sous la pluie, vêtue du maillot de bain troué de son grand-père (celui qu'elle a tué – je raconterai ça plus tard). Un maillot de bain de tissu noir, trop grand pour elle et usé jusqu'à la décomposition, avec un petit sigle orange clair sur la poitrine. Moi je suis assis comme un lourdaud sur cette immense plage sale de Coney Island et je mange un hot dog dégueulasse (très orange) en regardant mes chaussures de caoutchouc rouges s'enfoncer lentement dans le sable humide.
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Pendant vingt-quatre heures, je dois pisser dans des bouteilles en plastique (« Evian, Vittel, comme vous voulez… ») et tout lui rapporter.
-Même s’il y a trois ou quatre litres, me dit-elle. Je veux tout.
[…]
Le jour suivant, je lui apporte tête basse mes deux bouteilles pleines : si je déposais sur le comptoir du laboratoire mes déficiences, mes erreurs et mes doutes gluants et puants sur du papier journal, ce serait pareil. Tenez, voilà ce que je suis : ma pisse jaune et mousseuse. Je n’ose pas la regarder en face, mais elle me dit :
-Vous savez, il ne faut pas vous sentir gêné. On a tous les jours des vieux qui nous apportent leur pisse, c’est mal bouché parce qu’ils n’ont pas de force, souvent ça dégouline et on s’en fout plein les mains. Vous, au moins, le bouchon est bien vissé.
Ah, je ne suis pas au fond du trou. Il y a pire que moi : les vieillards qui en foutent partout.
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J'aime baiser le matin, ça me tue. Tu te réveilles, tu baises, t'es morte. J'adore ça.
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