AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de enjie77


Nous sommes en Slovénie pendant la seconde guerre mondiale. La ville de Maribor, située en Basse-Styrie, est annexée par l'Allemagne nazie depuis 1941 comme toute la région et subit l'aryanisation. Plus un panneau indicateur en slovène, plus un nom de rue en slovène, plus un mot en slovène, tout est germanisé, pire, le but nazi est d'éradiquer les slovènes et les slaves de la région. Alors la résistance voit le jour.

Drago Jancar tient-il une photographie dans ses mains ? L'a t-il observée un jour dans un cadre ou bien est-ce une carte postale trouvée dans une brocante ? ce qui est évident c'est que cette photographie l'inspire.

Il nous la décrit et s'animent alors sous nos yeux deux belles jeunes filles. La première en jupe légère à carreaux et chaussettes sombres, la seconde, dans un élégant manteau noir et avec deux belles tresses qui lui tombent dans le dos. Dans le coin en bas à droite, un homme en uniforme marche, tourne le dos et ne voit pas les jeunes filles : bottes noires, veste militaire grise, pistolet à la ceinture, en un mot, il porte l'uniforme des unités Schutzstaffel. L'image idyllique de deux jeunes filles discutant s'estompe pour laisser la place à l'année 1944.

La jeune fille avec la jupe à carreaux se prénomme Sonja. Elle regarde cet officier. Elle pense reconnaître un ancien patient de son père, médecin, avec qui, avant la guerre, ils seraient tous partis ensemble aux sports d'hiver. Malgré l'horreur que lui inspire cet uniforme, elle hésite, elle voudrait bien lui parler pour lui demander humblement d'intervenir pour libérer son petit ami Valentin Gorjan qui s'est fait arrêter. Alors, l'amour, l'espoir, la poussent à accoster l'homme en uniforme. Il s'appelle Ludwig Mischkolnig, mais avant la guerre se prénommait Ludek. Aujourd'hui, il est tellement investi et convaincu dans son rôle d'Obersturmbannführer, qu'il a germanisé son prénom. Mais « le talon d'Achille » de Sonja, c'est qu'elle est jolie et très inquiète pour Valentin.

A partir de cet instant, Drago Jancar nous propulse à Maribor. Sa plume ne nous laisse aucun répit. Les mots sont précis, le style est vif, passionné, c'est celui d'un homme expérimenté. Il nous happe tant le rythme est soutenu ; rien ne peut arrêter la destinée et rien ne peut stopper la lecture. Drago Jancar nous entraîne dans une succession d'évènements tous plus émouvants les uns que les autres, tous plus fatals les uns que les autres.

C'est la guerre, un peuple est agressé. Personne ne peut échapper à la peur, à la violence, à l'inhumanité, à l'implacable mécanique du pouvoir sur l'agressé, à cette irrésistible pulsion de mort, plus rien n'a de sens sauf détruire, posséder, violenter, vaincre et nous, lecteurs nous sentons terriblement impliqués.

Drago Jancar nous fait réfléchir sur la condition humaine, son tragique. Ayant lui-même connu la prison, s'étant opposé au régime communiste de son pays, c'est de sa vision de l'être humain qu'il nous parle et elle n'est pas séduisante, elle est même très pessimiste. Il n'y a pas de rédemption pour le salut de l'Homme ni ici bas, ni ailleurs. Lorsqu'un peuple a été sauvagement agressé, nié dans son identité, persécuté, sa revanche peut alors devenir terrible. Les vainqueurs se comportent comme leurs anciens bourreaux.

Toutes les réflexions philosophiques sont tenues intérieurement par Valentin dont j'ai vraiment partagé le sort avec le Front de Libération tant l'écriture de Drago Jancar est précise et détaillée avec une grande connaissance des comportements humains. Quant à Sonja, détruite pas la barbarie, pourra-t-elle un jour revoir la Lumière ?

Les trois acteurs de ce drame ne bénéficieront pas d'un happy end. Ils sortiront brisés de cette épreuve.

La question qui reste en suspend « comment peut-on vivre après » : le concept de résilience n'apparaît pas si évident.

Je voudrais remercier vivement les Editions Phébus et Babélio qui m'ont permis de découvrir Drago Jancar ce qui m'autorise à estimer qu'il a largement mérité les prix qui lui ont été décernés.



Commenter  J’apprécie          476



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}