En mars 1976, j’ai commencé une série de poèmes dont la langue, à l’inverse de toute poésie traditionnelle, se situe en dessous du niveau de langue courant. C’est la langue de gens qui sont contraints de parler allemand sans l’avoir jamais appris de façon systématique. Souvent on parle à ce propos d’allemand de travailleurs immigrés. Mais moi, dans la perspective poétique, je nomme cette langue langue délabrée.
Ernst Jandl
La poésie de Jandl est effectivement une poésie décevante pour qui attend du poème sophistication formelle, profondeur méditative et lyrisme exalté. Souvent simplifiée à l’extrême, elle est parfois ostensiblement dérisoire. Elle propose la plupart du temps des scènes de genre ou de brefs monologues. Le ton est sarcastique et goguenard, l’ambiance volontiers sordide. Philosophiquement, ces textes affichent un anti-humanisme décidé. Formellement, ils jouent de ce qui peut verbalement atterrer la figure humaine : platitudes triviales, défauts de prononciation, raccourcis de syntaxe, lapsus concertés. Ils traitent d’obsessions basiques (la guerre, la maladie, la mort, les parents, les animaux...) et stylisent sommairement les résidus d’un monde pauvre et blessé.
Christian Prigent