Si un vieillard qui ne survole jamais la vie peut être toujours jeune en ignorant son âge, c'est à dire en ignorant sa position réelle sur la piste étalonnée de la carrière vitale, un jeune homme peut être toujours vieux lorsqu'il est un peu trop conscient des tenants et aboutissants de sa propre carrière, lorsqu'il survole un peut trop sa propre biographie.
« Dieu n'est-il pas le poète suprême en tant qu'il improvise les mondes ? »
La durée comprimée dans l'instant est comparable à l'énergie qui sommeille dans un grain de sable.
Ainsi l'instant suprême peut tout changer! Tant pis pour les hommes pressés qui n'écoutent pas juqu'à cette dernière minute! Car le mot du mystère est peut-être le dernier mot... Surtout ne partez pas avant la fin!
Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu'il n'y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé !
La mort est le seul événement biologique auquel le vivant ne s'adapte jamais.
La mort n'est pas la malchance exceptionnelle de certains hommes, ni le malheur de certains déshérités, elle est une malédiction commune à tous
L’homme se sait mortel, mais à proprement parler il ne "sait" pas qu’il mourra. D’une part en tant que le mortel connaît en général sa mortalité, il englobe la mort par la conscience et il semble avoir barre sur cette mort ; et en tant qu’il ignore les déterminations circonstancielles de sa mort-propre, il est au dedans du destin, et l’événement futur garde vis-à-vis du condamné à mort l’avantage de l’initiative, le bénéfice de la surprise, la supériorité de la position dominante.
La finitude n’est pas seulement l’hypothèque qui pèse sur le devenir et le rend plus fragile, elle est encore le principe de la féconde inquiétude qui presse l’esprit créateur de s’exprimer par des œuvres. Nous sommes ainsi renvoyés de nouveau à l’équivoque de l’organe-obstacle, de l’organe-gênant. Cette équivoque ne doit être simplifiée, c’est-à-dire rendue univoque, ni dans un sens ni dans l’autre. – Et pourtant, que la mort empêche ou médiatise l’accomplissement de la personne, la vocation de cette personne est elle-même tout autre chose que l’organe, tout autre chose que l’obstacle ; l’ambition métaphysique de cette personne dépasse immensément ce qui la médiatise, surpasse infiniment ce qui l’empêche. La mort permet l’accomplissement de nos possibles, mais elle ne crée pas ces possibles. La mort, en nous mesurant parcimonieusement les années, empêche l’accomplissement intégral de l’ipséité, et l’ipséité inaccomplie reste en dehors et au-delà d’une mort toujours prématurée.
Le mystère de la création n’est décelable ni avant, dans le créateur, ni après coup, dans le fait accompli de la créature : par contre, il peut être surpris dans l’insaisissable passage de celui-là à celle-ci ; avant il est trop tôt, après il est trop tard : mais sur le moment, et l’espace d’un éclair, l’occasion opportune pourra s’offrir à nous de capter l’instant flagrant de la création. Et ce n’est sans doute qu’un instant ; le plus fugitif des instants.