AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de beatriceferon


« Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé », disait Montesquieu. Dans son nouveau recueil, Jean Jauniaux va plus loin.
Le titre nous interpelle : oui, l'ivresse délivre, mais, bien sûr, c'est de l'ivresse littéraire dont il est question. Et ici, la lecture se révèle en véritable thaumaturge. Non seulement les livres instruisent, distraient, consolent, mais ils ont ce miraculeux pouvoir de rétablir l'intégrité physique et mentale de ceux qui sont durement frappés par des maux effrayants.
Le lecteur se trouve projeté dans un temps imaginaire, sorte de futur proche, qui prétend nous préserver de « l'horrible danger de la lecture » (Voltaire). « Restaurants, cafés, cinémas, théâtres, librairies » ne sont plus que souvenirs, en passe, eux aussi, de céder le pas à la modernité. Pourtant, avant de disparaître sous les engins de chantier la petite librairie aura rapproché deux amateurs des mots imprimés. Ailleurs, la condamnation de jeunes barbares délinquants consistera à s'ouvrir l'esprit par la lecture. Là, une jeune SDF se console de son triste sort grâce à la modeste bibliothèque qu'elle s'est constituée. Dans cette glaçante civilisation régie par un pouvoir totalitaire, la culture est interdite. Il faut l'éradiquer par n'importe quel moyen. Un vieux prisonnier réussit malgré tout à préserver quelques pages.
J'ai frémi de découvrir dans « Nagra » mon pire cauchemar : la cécité. Néanmoins, cette histoire m'a fait penser à « Toutes les couleurs de la nuit » où Karine Lambert campe un personnage qui réussit à surmonter son terrible handicap. Celui de Jean Jauniaux, lui, aura encore bien plus de chance.
Au fil des pages, j'ai eu le bonheur de croiser des auteurs et des ouvrages qui me sont chers. Un visiteur de prison lit aux détenus « Simon la Bonté », le beau roman d'Aygesparse qui m'a laissé un excellent souvenir. A l'université, un de nos professeurs avait invité cet écrivain, déjà âgé, le premier auteur vivant que j'aie rencontré.
Dans les tranchées, avant un assaut qui s'annonce meurtrier, un jeune poilu se souvient du texte pacifiste de Victor Hugo qui commençait par les mots « un jour viendra ». Il écrit une lettre, peut-être la dernière, à l'enseignante qui le lui avait fait découvrir. Et à moi, ce titre évoque un poème d'Aragon, « Un jour, un jour », lui aussi dédié à la paix.
Ce petit garçon élevé par un père veuf s'entend répondre, chaque fois qu'il s'enquiert de son aïeul : « Mon père, ce héros au sourire si doux... » et cela me provoque un pincement au coeur, car papa me récitait si souvent ce poème de Victor Hugo, que j'avais fini par le connaître par coeur, moi aussi.
On sourit de constater que l'auteur lui-même se promène à travers ses pages et nous adresse un clin d'oeil. Tel personnage se nomme Edmond, tel autre Jean. le professeur de l'Academia medicina s'appelle Morrel et il emmène ses confrères à Saint Idesbald. (Pour ceux qui ne le sauraient pas, Jean Jauniaux écrit aussi sous le nom d'Edmond Morrel. Et un de ses recueils a pour titre « L'année dernière à Saint Idesbald ». Je vous le recommande chaudement d'ailleurs.)
C'est donc avec grand plaisir que j'ai savouré ce livre si riche, plein de nostalgie, de tristesse, d'humour, de badinage, voire de l'effroi d'un futur glaçant. Belle palette d'émotions, donc, et d'ailleurs, dans un des récits, les ouvrages de la bibliothèque sont classés non par titres, noms d'auteurs ou maisons d'édition, mais bien par sentiments.
Je ne peux que recommander cette lecture qui emporte dans une bienfaisante ivresse : celle que procure la littérature et je remercie l'auteur qui a eu la gentillesse de me l'offrir.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}