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Critique de Alfaric


L'auteur afro-américaine Nora Keita Jemisin se lance dans une trilogie fantasy dont le 1er tome présente des allures de Dallas fantasy, donc a forcément "Les Princes d'Ambre" de Roger Zelazny dans le rétroviseur. Mais les vibes ne sont pas du tout les mêmes puisqu'on remplace l'anti-héros Corwin par une ado rebelle YA à la "Hunger Games", "Divergente" et cie… (d'ailleurs la relation Yeine / Dekarta présente de faux aire de la relation Katniss / Coriolanus Snow)


Depuis le coup d'Etat d'Itempas le Lumineux, qui lors de la Guerre des Dieux tua sa soeur la Déesse de l'Aube et du Crépuscule et qui asservit son frère le Seigneur de la Nuit, ses adorateurs arameris règnent sur le monde depuis le Palais de Ciel qui flottent majestueusement dans les cieux… Mais nous sommes dans la fin de règne du patriarche Dekarta Aremeri, et la sa petite-fille métisse Yeine est appelée à Ciel pour être intronisée héritière aux côté de son oncle Relad et de sa tante Scimina… A la fin il n'en restera qu'un, mais cette dernière n'a qu'une idée en tête : découvrir qui a assassiné sa mère Kinneth et assouvir sa vengeance ! Princesse rebelle métisse ou Emily Thorne afro-américaine (remember la série télé "Revenge" ^^) ?
On sent que l'auteure veut dire beaucoup de choses : le pays de Darrène d'où est originaire l'héroïne est clairement une Afrique revisitée (d'ailleurs elle utilise les langues africaines pour le naming et ses citations "VO" ^^). La Guerre des Dieux, c'est la victoire du monothéisme occidental sur le polythéisme africain, Ciel c'est la Maison Blanche, le Consortium des nobles c'est l'ONU et dès qu'un des 100000 royaumes n'obéit pas on lui tape dessus directement ou indirectement. C'est un New World Order dans lequel les dieux asservis s'occupent des OPérations Extérieurs, voire remplissent le rôle d'Armes de Destruction Massive. Les Arameris suprématistes veulent le pouvoir mais pas les responsabilités qui vont avec : c'est tout naturellement qu'ils ont des armées de subordonnés pour gouverner à leur place, car rien ne peut se faire contre eux ou sans… Bref, d'insupportables « gendarmes du monde ».
Ciel lui-même à avec ses dirigeants, ses courtisans et ses intrigants flatteurs ou pédants est un archétype de lieu de pouvoir à la Versailles, mais avec ses nobles sang-purs, ses domestiques demi-sangs et ses travailleurs quarterons, on sent bien qu'on est dans une plantation du Vieux Sud. D'ailleurs l'auteure met les relations entre maître et esclaves au coeur de son roman, les passages à Ciel permettent d'évoquer le racisme et la ségrégation tout comme le métissage, et les passages au Darrène permettent d'évoquer les thèmes de l'acculturation, de la déculturation et de la contre-acculturation tout comme ceux du tribalisme et les loyautés ethniques…

Tout cela est très intéressant, mais le roman reste trop court pour développe l'univers et les thèmes qui lui sont propre. Mais surtout, l'ensemble reste très girly… Les apartés déco, mode et maquillage ne sont pas prégnants, et la relation fille-mère entre Yeine et Kinneth est bien développée (même si on s'attarde sur les problèmes de mariage, de maternité et de grossesse). Par contre je ne suis jamais arrivé à situer l'âge et la maturité de Yeine qui ressent de l'attirance sexuelle pour Nahadoth et de l'amour maternelle pour Sieh. Si on lit entre lignes, on aperçoit les thématique du viol, inceste et pédophilie y compris, de l'esclavage sexuelle, des mutilations génitales, mais au final l'héroïne en pince immédiatement pour le mâle alpha bad boy contre lequel tout le monde y compris lui-même la mette en garde… J'ai été obligé de lire en diagonale car passé un cap Yeine ne s'intéresse plus ni à sa vengeance, ni à la protection de son pays, ni même à sa propre survie alors qu'elle n'a plus qu'une semaine à vivre… Non, ce qui l'intéresse c'est sa romance charnelle avec le Seigneur de la Nuit qui lui propose de la chevaucher 24 heures d'affilée, d'où la multiplication des scènes de cul parfois assez étranges (les Japonais diraient « hentai »)… Je ne sais pas si on est plus proche du "Dit de la terre plate" de Tanih Lee ou des "Joyaux noirs" d'Ann Bishop, mais soupirs quoi… (L'auteure n'est pas dupe en plus : cahier des charges ou fanservice pour le public cible ?).
Ce qui m'a enquiquiné aussi, c'est que Yeine se croit unique et spéciale, est persuadée d'avoir raison et tous les autres torts, d'avoir des valeurs morales et les autres aucune (syndrome de l'ado cabocharde ?). Bref, elle est pleine de certitudes, sûre de sa force et de son intelligence, alors qu'en fait elle se fait rouler dans la farine par à peu près tout le monde et ne voit jamais venir les manipulations et les trahisons des différentes factions de Ciel. Ainsi jusqu'à la fin elle accuse son grand-père d'avoir empoisonné sa mère alors qu'en fait SPOILER. le fait qu'elle soit à côte de la plaque sur l'assassin et son mobile est assez signifiant : à aucun moment elle pose les bonnes questions aux bonnes personnes (elle ne se pose pas trop de questions en fait ^^). de la même manière, sa tante Scimina veut sa peau, ou la faire souffrir elle et tout ce à quoi elle tient, bref une caricature grimdark de méchante de shojo, pétasse narcissique cruel et sadique à souhait, mais à aucun moment du roman elle ne songe à se tourner vers son oncle Relad ou pour s'allier ou pour jouer l'un contre l'autre… Pourquoi ? Parce que Relad est un mâle, ou plutôt il n'est pas un mâle alpha, donc un gros naze… Soupirs quoi…


Heureusement que le dénouement entre apothéose et apocalypse, inspiré des mythologies et des cosmogonies africaines, rattrape vraiment bien le tout, parce que même si je ne fais pas partie du public visé j'aurais quand même bien ragé… le roman peut se lire indépendamment puisque le destin de Yeine se termine ici (d'ailleurs le roman tout entier est presque une analepse, la narration à la 1ère personne lui permettant de reconstituer les événements qui l'ont conduite à ce dénouement). L'équilibre est rétabli au ciel certes, mais la tempête du changement souffle sur les royaumes des hommes : l'auteur continue donc d'explorer son univers et ses thématiques avec d'autres personnages dans les tomes suivantes de son cycle.
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