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Critique de cedratier


« La beauté dure toujours » : Alexis Jenni (Gallimard 250 pages)
Félice est avocate, elle s'occupe de petits délits, et présentement elle défend des manifestants « gilets jaunes » tombés dans les griffes de la police et d'une justice expéditive qui veut leur faire payer cher leur révolte. Mariée à un radiologue imbu de lui-même, prisonnière de cette relation « épidermique » qui la met quasiment en situation de dépendance érotique, elle a, vers la quarantaine, rencontré Noé, dessinateur aussi talentueux qu'introverti, qui vit depuis trop longtemps coupé de toute passion amoureuse dans la bulle de son art. Quand ils se sont croisés une dizaine d'années avant que le récit ne commence, ce fut le coup de foudre absolu et pour lui, elle a quitté mari et enfant.
L'intrigant pour le narrateur, c'est que 10 ou 12 ans plus tard, alors que Félice et Noé ont la cinquantaine, leur passion amoureuse comme leur désir charnel ne sont en rien émoussés. Car ils se sont trouvés, au sens du mythe platonicien de la part manquante, de l'emboitement parfait.
Voilà la toile de fond de ce roman ; l'amour passionnel (la beauté) qui dure toujours. D'une banalité effarante ? Non. Première trouvaille de Jenni : entre ces deux personnages et leur passion, il glisse un témoin, un ami de Noé, qu'il nomme simplement « le narrateur », et qui en son nom propre, témoigne de cette histoire d'amour qui se déploie des années durant dans sa proximité, observant avec envie cette perfection. le narrateur est lui-même écrivain désabusé, en mal d'inspiration, ayant renoncé par prudence et par lâcheté à toute forme d'engagement amoureux. Sidéré de cette histoire, il veut faire de cette capacité à aimer au-delà des habitudes le thème de son prochain roman, au grand dam de son éditeur plus que dubitatif. Jenni a construit son récit en croisant la parole de l'écrivain désabusé et celles de Noé et de Félice. Belle astuce de construction : celui qui ne croit plus à l'amour, qui ne croit plus qu'à l'écriture, (Jenni lui-même ?) se fait ainsi le porte-voix des deux amoureux qui le démentent de fait et par leurs mots. Et il y a d'autres intérêts à cette histoire. D'abord un tableau du milieu littéraire (dans lequel patauge le narrateur-auteur) assez caustique et très lucide. Et puis, sans qu'il soit nommé, on devine un portrait décapant et plus vrai que nature de Houellebecq. C'est drôle. Mais n'est-ce pas dans ce monde-là que « le narrateur » cherche absolument à entrer ?
Et puis, il y a ce monde des révoltés, des « gilets jaunes » en colère avec lesquels nos deux personnages masculins se sentent en empathie, mais comme spectateurs derrière leur poste de télévision, quand Félice elle mouille sa robe d'avocate, ne compte plus ses heures pour tenter vaillamment de les défendre.
L'écriture de Jenni est assez sophistiquée, assez poétique, souvent brodée de mots rares. Et s'il y a un bel argumentaire pour témoigner d'une passion désirante qui transcende les routines, les redites dans le texte sont parfois lourdes. Il y quelques longueurs et incongruités. Dix fois on relit « je suis à elle, elle est à moi », « Il est elle, elle est lui » … Et quand Jenni écrit « l'un est la coque, l'autre est la voile » « tant que le mat résiste » …, on est au-delà du poncif ridicule. Heureusement, c'est assez rare.
Quant à la vérité fondamentale de ce texte, mise en mots par un narrateur éteint, atone, n'est-ce pas : « l'amour absolu existe, je l'ai rencontré … chez d'autres… »?
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