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Critique de Colchik


Tout commence comme une romance acidulée et drôle. Celestial Davenport, enfance choyée dans les beaux quartiers d'Atlanta, a épousé Roy Hamilton, un petit gars de Louisiane qui s'est taillé une belle route vers le succès après de solides études universitaires. Même si Roy est toujours un peu intimidé par la réussite des Davenport, et Celestial mal à l'aise devant les remarques abruptes d'Olive, la mère de Roy, leur couple entrevoit l'avenir radieux qui s'offre à eux. le jeune femme va se consacrer à son art, la fabrication de poupées, et son mari va poursuivre sa carrière dans le monde des affaires en attendant de fonder sa propre entreprise. Installés dans la maison offerte par les parents de Celestial, ils envisagent après deux ans de mariage d'avoir un enfant. Mais tout dérape un soir de septembre, à Eloe, la petite ville où ils sont venus rendre visite aux Hamilton. Roy est accusé de viol par une cliente du motel où ils séjournaient. Bien qu'innocent, il est condamné à douze ans de prison car la justice du Sud est souvent expéditive à l'égard des Noirs.
Ce roman pourrait apparaître comme une dénonciation de la condition faite aux Afro-Américains aux États-Unis. Son intérêt est de dépasser l'approche victimaire pour disséquer au plus près les effets d'une décision injuste sur les protagonistes de l'histoire. Roy est victime d'une erreur judiciaire, du jour au lendemain son existence est bouleversée, ses espoirs de réussite ruinés, cependant l'auteur, plutôt que traiter de la réalité carcérale, choisit d'en montrer les conséquences sur un couple brutalement séparé. Comment réorganisent-ils leur vie ? Quelles voies s'offrent à eux pour maintenir les liens conjugaux ? Quelle est la part des non-dits, des silences, des attentes de chacun dans leurs tentatives pour sauver leur mariage ?
Tayari Jones nous montre avec beaucoup de justesse l'onde de choc qui se propage sur l'entourage. Très subtilement, elle analyse les réactions familiales. Les Hamilton ont la combativité des gens modestes, qui ont dû toujours lutter pour obtenir le peu qu'ils ont et gardent la tête haute en toute circonstance. L'amour qu'ils portent à leur fils est indéfectible et ils savent qu'il ne peut avoir trahi les valeurs qu'ils lui ont inculquées. Les Davenport abordent la situation rationnellement, s'appuient sur leur aisance matérielle pour financer les recours en justice de Roy, ont un ami avocat chargé de son dossier, aident leur fille à rebondir et installer sa boutique de poupées. À chacun sa manière d'agir pour protéger son enfant dans les épreuves qu'il traverse. Ce qui renvoie sans cesse à la question de la filiation : que signifie être le père ou la mère d'un enfant ?
Une autre question étend ses ramifications à travers tout le roman : quelle est la nature même du mariage ? Quel sens faut-il donner à la promesse d'être là pour le meilleur et pour le pire ? le mariage est-il la sanction de l'amour, ou l'institution qui donne au sentiment toute sa signification dans le temps ? Tayari Jones se garde bien de donner une réponse car les avis sont partagés, tant chez les Davenport que chez les Hamilton. Pour Andre, le soupirant de Celestial, l'amour est avant tout une question de loyauté envers soi et non de fidélité à l'autre.
La forme choisie par l'auteure nous permet d'échapper à une narration linéaire qui aurait pu s'engluer dans le sentimentalisme ou le démonstratif. Chacune à leur tour, les voix de Roy, Celestial et Andre s'élèvent, évoquent passé et présent, réfléchissent à l'avenir. C'est souvent poignant, parfois drôle et toujours juste. Ce formidable roman montre bien que la relève de Toni Morrison est assurée.
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