Celui qui n'a pas d'enfant peut au moins laisser des mots.
J’avais l’habitude des choses étranges que voulaient savoir les vieux hommes des hauts plateaux, mais les questions de Mbiyo Mbiyo dépassaient tout. Comment se faisait-il qu’il y eût des Blancs et des Noirs ? Y avait-il des Belges qui pouvaient tuer une bête sauvage avec une lance ? Quelles tribus vivaient en Belgique ? Avions nous aussi des Hutu et des Tutsi ? Et en Asie, quelles tribus habitaient là ? Combien y avait-il de pays au monde ? L’Océanie était-elle à l’origine attachée à l’Union soviétique ?
Mbiyo Mbiyo lisait les réponses sur mes lèvres, comme s’il ne se fiait pas totalement aux traductions de Kizeze. Il n’avait pas terminé l’école primaire ; remâchait-il ces questions depuis lors ? Une encyclopédie pour enfants, voilà qui serait utile dans cet environnement. Mais dans ses questions filtrait aussi, de la même manière que dans celles des vieux hommes sur la colline de Bijombo, une certaine ironie – comme s’il se payait ma tête.
De temps à autre, des mots du monde moderne se glissaient dans son sermon. "Si l'homme n'écoute pas Dieu, il n'a pas de réseau, comme le téléphone portable !" criait-il. Et : "Vous devez faire de vos péchés ce que je fais des documents inutiles dans mon ordinateur : les jeter à la corbeille !" Le chœur des filles entama un chant sur le diable qui avait des problèmes d'hypertension parce que Dieu l'avait acculé dans ses derniers retranchements.
Pacifique avait environ dix-neuf ans, mais il était déjà marié. Il était serviable et avide d'apprendre. Je me surprenais parfois à lui parler d'un ton pontifiant, comme mes ancêtres sans doute, lorsqu'ils arrivaient dans une région où les gens n'étaient pas habitués aux Blancs. "Pacifique, disais-je alors, en parlant involontairement de moi à la troisième personne, tu ne dois pas servir de la nourriture froide à un Blanc le matin." Ou : "Un Blanc n'a pas l'habitude de manger tous les jours la même chose."