- Rabelais, dit-il, est le premier écrivain à l'ère de l'imprimerie. Comme Luther est le dernier écrivain de l'ère manuscrite. Bien sûr, dit-il, sans l'imprimerie Luther serait resté un simple moine hérétique. L'imprimerie, dit-il, en ôtant la mousse à la surface de sa tasse, a fait de Luther le puissant qu'il est devenu mais c'était essentiellement un prédicateur, et non un écrivain. Il connaissait son public et écrivait pour lui. Rabelais, lui, dit-il en suçant sa cuiller, a compris ce que signifiait pour l'écrivain ce nouveau miracle qui était l'imprimerie. Ça signifiait avoir gagné le monde et perdu le public. Ne plus savoir qui vous lisait ni pourquoi. Ne plus savoir pour qui vous écriviez. Rabelais, dit-il, trouvait ça insupportable, comique et délectable, tout ça en même temps.
- Tu comptes écrire sur Rabelais ? demande-t-elle.
- Oui, dit-il. Je crois que oui. Je voudrais expliquer aux gens sa modernité. Ce qu'il signifie et devrait signifier pour nous tous, maintenant.
Il la regarde. Elle sourit.
Une pièce.
Il se tient à la fenêtre.
Et une voix dit : Tout passe. Le bien et le mal. La joie et la peine. Tout passe.
L’ennui, avec la plupart des œuvres littéraires, dit-il, c’est qu’elles vous abordent frontalement. Ça ne se passe jamais comme ça dans la vraie vie. Les choses se contentent de nous passer devant et nous en avons à peine conscience que déjà elles sont parties.