p94 oh calme
fragiles et innocents, des poissons jouaient. Ils guettaient, paisibles, la présence d'une main, triste aumône du marin poète à ses heures, glissant des vers sur son hameçon. Le fond de la faim, ce gouffre entre vie et mort...si le poisson souffre, c'est qu'il aura eu le tort, le goinfre, d'ouvrir la bouche.
p33 quatre saisons
l'automne arrive, sa lumière, ses couleurs. Le ciel s'inonde de terre de Sienne, de pourpres de soie, de lacs turquoises, et invite au voyage. J'aimerais m'asseoir sous un bolet diable et y soulever ton jupon, dynamite, amanite phalloïde, tu es mon poison, mon amour, et le temps n'y peut rien.
p101 le parfum
J'aimerais être une fleur que tu caresses du regard, puis devenir ton parfum. Des nuances de seringa qui se colleraient à ton cou, je te suivrais partout sur cette mer de chine où tu jetterais ton ancre. Ton corps serait mon nid, et sur ta peau je serais cette goutte que tu respires. Une perle du Sud qui s'écoule comme le temps sur tes reins. Dans le noir, je t'imagine brûlante.
p13
Mon père me l'a dévoilée, allongée, les bras sur le ventre, un anneau qui la perce.(...)J'ignore si cette vieille dame, auprès de laquelle je nage ou je pêche aimerait que l'on devine son existence, j'ignore si elle aimerait cette délivrance.(...) Elle est surprise permanente, femme sans nom, triste sorcière qui me hante. Parfois je l'observe sur la grève, immobile, sans soucis.(...)La sorcière plonge dans vos secrets, et il est impossible de la fuir: la vieille femme se fait sentir, elle se projette dans vos sens, et oriente vos démences. La voyez-vous, là, sur ce rocher? Elle pense, elle panse mes plaies.
Sur cette croix, tranquille, le regard posé sur la flambée de bois qui brûle ma carte géographique, je t’offre un pique-nique, une montagne de soupirs, et trois étoiles de verre.
Mon grenier, je t'aime comme une dépendance, une drogue alitée, toi, qui conservais, sans le savoir, toute la mémoire, tout ce passé. Toute cette sensibilité étalée sur le sol, ce désir de livrer sa conscience, de se livrer, de se donner, m'ont aspiré.
La colombe se torche sur nos lumières de paix, triste étincelle, qui
se pose au pied de nos cités. Une idée fleuve parcourt mon dos
quand je pense à ceux qui jettent leur vie et embrasent les cieux de
croyance d’un ailleurs rose. Le paradis, pour eux, devient une idée
fixe, étoile éphémère, surbrillance quotidienne de ces bombes
humaines.