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Critique de ecceom


Pour que la culture ne soit plus un grumeau

Certains livres rendent heureux et triste et c'est le cas de celui ci.
Heureux de lire une réflexion de bon sens. En cette période de Pentecôte, la visite d'un esprit sain est toujours une bonne nouvelle.
Mais triste aussi de partager le constat accablant qu'il dresse de la situation culturelle.

Amateurs de Desproges et de Philippe Muray, ne passez surtout pas votre chemin. Jourde est de cette famille qualifiée paresseusement et hâtivement de réactionnaire, ce qui était une injure hier et tend à devenir un titre de gloire aujourd'hui, à tort dans les 2 cas.

Si vous vous défiez des "mutins de Panurge", vous vous sentirez moins seul après la lecture de "C'est la culture qu'on assassine".

Ce livre est un recueil de chroniques que Pierre Jourde écrit sur son blog depuis 2009 et il touche à tous les aspects de la culture.
Comme Jourde n'a pas sa plume dans la poche, cela donne de savoureuses charges contre la réforme des universités (un monde qu'il connaît personnellement), les médias, la politique éducative, la politique et la vie culturelles, le monde de l'édition et les écrivains, l'éthique…

Attention. Il ne s'agit pas d'une énième dénonciation de la dérive de l'Education nationale, des médias ou d'un simple tir aux pigeons qui occupent les têtes de gondoles du livre.
Il ne s'agit pas non plus d'une offensive visant à (r)établir un imaginaire pays réel pour s'opposer à l'hégémonie du politiquement correct.

Pierre Jourde se contente de réfléchir et de montrer, avec verve et humour.

Sur l'éducation.
Jourde consacre plusieurs billets à la réforme de l'Université et à la recherche et il remet les pendules à l'heure : non, les chercheurs ne sont pas tous des fainéants improductifs et toujours en grève. La recherche française est excellente, il faut simplement lui laisser le temps de… chercher. La description du chemin de croix du chercheur qui fréquente la très Grande Bibliothèque, est formidable.

Jourde est aussi convaincant dans son plaidoyer en faveur de Culture et de la nécessité de faire cohabiter en chacun, un bon professionnel et un citoyen à l'esprit ouvert.
Il est également percutant quand il explique en quoi la réforme de l'orthographe est absurde, si on ne s'attaque pas surtout, à la grammaire (ce qu'il ne souhaite pas par ailleurs).

De même quand il défend le conservatisme dans l'éducation (même si on a déjà beaucoup lu ça, notamment chez Brighelli), pour "entourer et protéger l'enfant". "Le monde est toujours plus vieux qu'eux, le fait d'apprendre est inévitablement tourné vers le passé sans tenir compte de la proportion de notre vie qui sera consacrée au présent".

En revanche, je trouve Jourde moins convaincant quand il feint de confondre concours, sélections avec évaluation pour s'opposer au système d'évaluation (qui peut être critiquable cela étant) ou quand il semble exonérer l'éducation, de sa part de responsabilité dans le fait que le "public demande ce qu'on le conditionne à demander" car "le véritable éducateur aujourd'hui, c'est TF1".

Sur les médias et les artistes.
Le message est clair. "La bêtise médiatique mène une guerre d'anéantissement contre la culture". La complaisance est généralisée. Les informations sont trop souvent insignifiantes en donnant à voir du vide qui nous transforme en "auxiliaires de la bêtise".

Jourde dénonce le message sous-jacent des animateurs de télévision ("Tout cela est idiot, vous êtes idiots, nous le savons bien et nous devons nous en réjouir. Nous souscrivons à notre bêtise, elle est sans naïveté"), qui alimentent ce que l'auteur appelle " l'empire de la connerie triomphante et fière d'elle-même".
Mais il fustige aussi la fausse rébellion des Inrockuptibles et consorts. Il décrit très finement l'ambiguïté d'une prise de position qui vous transforme en pseudo-rebelle ou en réactionnaire et distingue l'oeuvre révolutionnaire ou révoltante, de la production insignifiante (Van Gogh vs Jeff Koons).

Sur l'édition et les écrivains.
Jourde traite à plusieurs reprises de ce qui caractérise un bon écrivain, de la réalité des aides financières, du système des prix littéraires, du rôle des petites maisons d'édition, de la critique…et démolit joyeusement et en argumentant, ceux qui occupent démesurément les rayonnages de librairies ou de supermarchés, avec leurs produits insipides. Si vous aimez Musso, Levy, Angot ou Djian, ces passages vous seront sans doute douloureux. Mais il pose une bonne question : quand on critique un écrivain populaire, se moque t-on des ses lecteurs ?

Et puis, à côté des ces sujets attendus, Jourde aborde d'autres thèmes intéressants.

Sur l'identité nationale.
Son point de vue est délicieusement dérangeant. "L'époque est celle des fiertés, de ceci ou de cela et des machin pride. Je suis fier d'être homosexuel, basque, breton, catholique, voilée, motard…(…)…Bizarrement, en revanche, être fier d'être français, ça fait ringard".

Oh le vilain réac, pensez vous ?
Pas si simple.
Car Jourde continue : "il faudrait savoir : on a le droit d'être fier de tout, ou bien de rien. Personnellement j'adopte la deuxième solution. La revendication de soi est une marque de puérilité".

Sur la mémoire.
Dans une chronique de 2009 consacrée au mémorial de la Shoah : Yad Vashem, il dénonce : "ceux qui font profession de nier ou de bouffonner". "Des "Dieudonné assimilent les bourreaux aux victimes ("Israheil")…"

Bref, un livre roboratif qui traite en 300 pages, de sujets essentiels avec un art dialectique qui procure un vrai plaisir de lecture.

Mais du coup, je m'interroge : aime-je ce livre parce qu'il flatte mon ego en clouant au pilori des auteurs ou personnalités que je n'aime pas non plus ? Me caresse t-il dans le sens du poil et alors, ne suis-je pas aussi moutonnier dans le sarcasme que la masse à laquelle je veux croire ne pas appartenir complètement ?
Ce que je considère comme du bon sens n'est-il qu'un aspect et n'existe-t-il pas d'autres vérités ?
Vastes sujets.

Bon, je vais aller voir un "Inspecteur Harry", je réfléchirai à tout ça ensuite.

Zut ! Jourde assimile aussi Clint Eastwood à Pierre Corneille.
Damned, je suis fait.
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