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Citations sur L'île aux troncs (11)

L'indéniable cohésion d'ensemble tenait à la réduction du territoire comme au nivellement des hôtes : tous affichaient un passé de fraîche date partage, héros, quels qu'ils fussent, soldats sans préalable, sans ardoise, tous avaient combattu, leur état le disait, injuriés au même ordre, charitablement déplacés pour leurs mérites au Rotary-Club de Valaam, cette languette de Carélie lacustre calée au septentrion du froid, une île décentrée sur le plus vaste des lacs d'Europe, une flaque en longueur sur la carte louchant vers l'Arctique.
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Pour asseoir son projet, l’utopie a besoin d’un petit bout de géographie, la première île qui se propose fait l’affaire, aussi réduite soit-elle. L’idéalisme s’occupe du reste : figer l’endroit, abolir ses limites, façonner un anti-domaine, un lieu carcéral à ciel ouvert. Puis, en cantonnant des groupes humains dans des mondes circonscrits, l’utopie promène une loupe sur l’idéal qu’elle veut décrire : elle accuse des manies. Isolées en terre finie, les sociétés coupées du reste se distinguent peu ou prou par leurs tics, grossis, qu’ils soient politiques (More), idéologiques (Campanella), à visées scientifiques (Bacon), esthétiques (Charles Sorel) ou qu’ils annoncent de prochaines fomentations sociales à la veille d’une révolution (Marivaux). Chaque utopie isole une lubie dans un vase clos, l’éprouvette. Elle échantillonne, elle réduit le territoire et, partant, elle majore les représentations, elle attige ce sur quoi elle fait foi de se pencher, à cheval sur la farce et le modèle, la satire et la règle, le mythe et le pamphlet, la charge et l’idée-force. Sa lentille se déplace entre le grand dessein et l’ironie. En ce sens Valaam a des airs d’utopie.
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Bon choix doublé d’un autre avantage : Valaam fut rattaché à la nouvelle Finlande indépendante après la révolution de 17, tout un répit avant que l’archipel ne redevienne russe passé la guerre d’Hiver, si bien qu’il se trouvait sur l’île un monastère intact, comme désaffecté, préservé des bousillages soviétiques, sur pied, vaste, accueillant, vide de moines et de cénobites, d’higoumènes et d’ermites, havre aux allures moins inhospitalières que les pénitenciers, avec des enfilades de cellules à touche-touche, chacune leur lucarne occultée par du papier goudron, un beau réfectoire, sanitaires et cuisines à rafraîchir, là l’infirmerie, l’économat, ici un potager communautaire à bêcher sous soixante centimètres de croûte glaciaire (celui même où Sergueï Sokolov tirait l’inspiration de ses choux), le tout un peu délabré mais logeable, propre à engranger un essaim de renégats sans démérite, tous hommes-souches, des vétérans mal en point, glorieux et courts, des grandeurs fatiguées, à peu près tous héros, amochés. À l’heure du gruau, on les voyait sortir de leurs réduits individuels, traverser l’enceinte comme marchent les otaries sur le socle ferme, lorsqu’elles ne nagent plus.
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Et le travelling des hommes-souches se prolongeait, nouveau foyer, vingt-deuxième cellule, voici justement celle d’après, la vingt-troisième, celle de Pavel Tchechnev devant laquelle on parlait bas, Pavel des petits soins qui apportait la gêne, l’oeil comme les chiens voudraient savoir pleurer, la plus navrante figure de l’île, parmi les plus malheureux combattants de l’Union soviétique, le corps diminué mais l’âme fichée d’un chagrin comme aucun patriote, aucun rescapé, un sapeur, un engagé pour qui les quatre années de feu s’étaient prolongées d’un petit temps additionnel après la paix, Tchechnev des brigades de démineurs. Retour de Berlin, ceux-là encore avaient opéré sur des routes, dans des usines rompues ou sur des voies de chemin de fer, certains au bout du compte avaient tâté un engin explosif endormi depuis la victoire, passé le 9 mai 45, une semaine, deux, parfois six mois plus tard, inconsolables, des amputés de la paix, éplorés mutilés, hachés longtemps après le cessez-le-feu. La colonie avait le sien, Pavel Tchechnev de la vingt-troisième cellule, cuisant déveinard, suprême infirme plus totémique que quiconque en l’île.
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Cela prendrait du temps, il imaginait un montage avec des paliers de plus-values. D’abord, convertir la vaisselle de bois en denrées, les denrées en un lot de laines et autres articles ferreux puis le tout en fauteuil. Il avait des réseaux, de l’entregent, sa jambe et du bagou avec quoi il arpentait les loges du monastère en voltigeur, toujours du tabac à offrir, une fiole à partager, du temps à consacrer, des palabres pour chacun, surveillant le marché des fardiers sans en avoir l’air tandis que Piotr sur son seuil cisaillait des morceaux de conifère, tout un ménage de bois accumulé.
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Restait le plus ardu : tituber droit, s’en revenir avec d’impayables précautions, marcher dans le noir, faire aller le balustre de béquille à travers les couloirs, tout un bazar, le litre plein calé sous le bras unique du Guillemot sans qu’il ne chutât, quelque chose d’autrement plus compliqué que l’art de la nage, le cylindre de verre coincé au creux de l’aisselle, franchir comme ça l’enceinte sur le dallage gelé, le pas chaloupé jusqu’aux dortoirs couplés.
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Ensuite, comme des serre-livres sans rien d’autre au milieu, deux adossés, deux roux, double souche en étai, jumeaux des heures, l’un se décrottant les ongles à la pointe du couteau, l’autre épuçant du doigt des groupes de caractères imprimés de longtemps sur une feuille de journal huit fois lue.
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Grande douleur ventriloque, la pathologie du moignon revenait aux pics saisonniers, deux fois l'an, fin et retour de l'hiver entre deux courbes de quiétude.
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Les estropiés ont un avantage plastique : leur bedon passe inaperçu.
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Tchoubine et Sniezinsky furent des premiers colons, la fournée de 49, deux vétérans parmi les cent trois estropiés cinglant vers l’île le mardi 4 octobre, un vapeur. Personne ne vit les voyageurs débarquer à la force des bras, une queue-leu-leu sur la passerelle, leur démarche sur les mains, le tronc oscillant, un paquetage minuscule accroché dans le dos, leur regroupement sous les mélèzes, cent trois samovars postés sur la grève et l’au-revoir de tous ces bras à l’équipage. Bientôt, le lac durcirait pour des mois. Le vapeur appareilla, sa cheminée fit un toupet noiraud dans les brumes de Valaam, on ne le vit plus – sa fumée, son fuselage -, et lorsque la colonie s’ébranla vers le centre de l’île avec cette neige et cette façon d’aller, on pensait à un banc de pingouins. Cent trois samovars, une petite congrégation insulaire, le ramassis des grands lendemains.
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