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Critique de mh17


mh17
23 février 2024
« Qu'attendaient l'un de l'autre le poète et le tyran, cachaient-ils quelque chose et étaient-ils effrayés par ce qu'ils dissimulaient ? »

Dans ce livre passionnant, à mi-chemin entre l'essai et l'autobiographie, Ismail Kadaré examine les relations ambiguës entre le Tyran et le Poète.
L'écrivain albanais a vécu sous le régime terrifiant d'Enver Hoxha. Il a longtemps été épargné par le régime totalitaire alors que d'autres écrivains albanais étaient liquidés. Il a même reçu un appel impromptu d'Hoxha qui le félicitait pour l'un de ses poèmes. Pris au dépourvu, il s'est confondu en remerciements, à sa grande honte. On comprend que la conversation fameuse entre Staline et Pasternak au sujet de Mandelstam résonne profondément en lui. Kadaré était étudiant à Moscou dans les années 50 lorsque qu'il a entendu parler du dialogue. Il faisait l'objet de conversations passionnées avec Stulpans, son ami letton. En 1976 Kadaré écrit un roman qu'il qualifie d'impossible ( le Crépuscule des dieux de la steppe) sur ses années moscovites dans lequel il évoque l'affaire Pasternak. Mais ce roman n'est pas publiable en Albanie. Kadaré à cause de son succès en Occident deviendra suspect, sera censuré et contraint à l'exil.
Les deux premières parties du livre racontent les réminiscences de Kadaré et son projet d'écriture. La troisième est une « investigation » au sujet de la conversation entre Staline et Pasternak.


Le 23 juin 1934 Boris Pasternak reçoit un appel téléphonique de Pokrebychev, le secrétaire de Staline :
« Camarade Staline va vous parler maintenant. »
Et effectivement, Staline prend l'appareil :
« Il y a peu de temps a été arrêté le poète Mandelstam. Que pouvez-vous en dire, camarade Pasternak ?
-Je le connais peu. C'est un acméiste, tandis que j'appartiens à un autre courant. Je ne peux donc rien dire sur Mandelstam .
-Et moi, je peux vous dire que vous êtes un très mauvais camarade, camarade Pasternak », dit Staline, et il raccroche.

Deux mois plus tard Boris Pasternak est nommé au présidium du premier congrès de l'Union des écrivains soviétiques. Il bénéficiera d'un appartement plus grand puis d'une datcha à Peredelkino. En 1958 quand on lui décernera le prix Nobel, la rumeur de sa lâcheté à l'égard de Mandelstam ressortira avec l'intention évidente de le compromettre.

Ossip Mandelstam a été condamné à la relégation le 26 mai 1934, il meurt en déportation en 1938.
On sait que juste avant son arrestation Mandelstam avait écrit sa fameuse épigramme contre le « Montagnard du Kremlin ».

Près d'un siècle après cette très troublante conversation, les questions demeurent :
Avec quelle(s) intention (s) Staline a-t-il téléphoné ? Pourquoi Pasternak s'est-il défaussé ? Qu'attendaient-ils l'un de l'autre ? Cachaient-ils quelque chose ? Etaient-ils effrayés par ce qu'ils dissimulaient ?

Kadaré fait état de treize versions différentes fournies par le KGB, les proches de Pasternak (son épouse, ses maîtresses, ses amis), les historiens, les écrivains plus ou moins compromis. Il évoque le milieu artistique des années 20-30, les relations délétères entre écrivains : « La comparaison, plus exactement la rivalité, vieille comme le monde, était devenue suppliciante sous le régime communiste.»Kadaré les décortique, les commente pour nous. Il nous parle d'une certaine tradition russe, en particulier des relations étonnantes entre Lénine et Gorki , Pouchkine et le Tsar.
Le Tyran ménage le Poète à sa guise avant de le broyer, soit en le liquidant, soit en le déshonorant.

Une note de l'éditeur termine le livre :
« Par respect pour ses lecteurs, l'auteur a sollicité de son éditeur la possibilité d'une future publication complétée de cet ouvrage... ».


j'ai très envie de lire le Crépuscule des dieux de la steppe.
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