N’avons-nous pas déjà vu verser trop de notre sang? Comment pourrions-nous enterrer ce sang comme si de rien n’était ? Les esprits de ceux qui sont partis avant nous nous observent les yeux ouverts.
L’oisillon qui s’échappe d’un mort, où nichait-il quand le corps était vivant? Sur la glabelle froncée ? Derrière le crâne comme une aura? Ou bien près du cœur ?
Ce sont les soldats qui me font peur, pas les cadavres.
A présent, elle en avait vingt-quatre et les gens voulaient qu’elle soit adorable. Souhaitaient que ses joues soient rouges comme une pomme, qu’une joie scintillante de vivre s’installe dans les jolies fossettes de ses joues. Mais elle, ce qu’elle voulait, c’était vieillir vite. Souhaitait que cette saleté de vie ne se prolonge pas trop longtemps.
Certains souvenirs ne cicatrisent jamais. Au lieu de s’estomper avec le temps, ils persistent et clé et plutôt le reste qui s’effrite. Comme s’il était éclairé par des ampoules qui s’éteignent les unes après les autres, le monde devient obscur.
Alors qu'ils avaient reçu un fusil, la plupart d'entre eux n'avaient pas réussi à tirer. A la question de savoir pourquoi ils étaient restés sachant qu'ils allaient être battus, tous les survivants avaient une réponse similaire. "Je ne sais pas, mais il m'a semblé que je le devais."
Je me trompais en les considérant comme des victimes. Ils étaient restés parce qu'ils ne voulaient précisément pas être des victimes.
Le stylo-bille noir de la marque Monami était la dernière et incontournable étape de ce qui m'attendait dans la salle d'interrogatoire. Ils voulaient sans doute me faire comprendre que mon corps ne m'appartenait plus. Que je n'étais en aucun cas maître de ma vie, que la seule chose qui m'était permise était cette douleur à rendre fou, cette terrible douleur qui me faisait pisser et déféquer sous moi.
Il n’y a que des gens allongés dans le silence et l’horrible puanteur