Alors qu'ils avaient reçu un fusil, la plupart d'entre eux n'avaient pas réussi à tirer. A la question de savoir pourquoi ils étaient restés sachant qu'ils allaient être battus, tous les survivants avaient une réponse similaire. "Je ne sais pas, mais il m'a semblé que je le devais."
Je me trompais en les considérant comme des victimes. Ils étaient restés parce qu'ils ne voulaient précisément pas être des victimes.
Le stylo-bille noir de la marque Monami était la dernière et incontournable étape de ce qui m'attendait dans la salle d'interrogatoire. Ils voulaient sans doute me faire comprendre que mon corps ne m'appartenait plus. Que je n'étais en aucun cas maître de ma vie, que la seule chose qui m'était permise était cette douleur à rendre fou, cette terrible douleur qui me faisait pisser et déféquer sous moi.
En moi, quelque chose de tendre dont j'ignorais l'existence s'est brisé sans faire de bruit.
Après la cinquième, elle a pensé : Il ne s’arrêtera jamais, il va continuer. La sixième fois, elle n’a pensé à rien
Il n’y a que des gens allongés dans le silence et l’horrible puanteur
Quand je pense aux dix jours de cette ville, je vois l’instant où une personne battue à mort ouvre grands les yeux. L’instant où elle fixe son bourreau, en écartant ses paupières lourdes, en crachant le sang et les morceaux de dents qui remplissant sa bouche
L’homme est-il cruel ? Par nature ? Ce que nous avons vécu, relève-t il d’une expérience banale ? Vivons nous dans l’illusion de notre dignité alors que nous pouvons à tout moment nous transformer en moins que rien, un insecte, une bête, une masse de pus et de suint ? Etre humilié, blessé, tué, est-ce là le destin de l’homme tel que le démontre l’histoire ? » (p140)
Si l’été que je venais de connaître était la vie, si le corps souillé de sang, de pus, et de sueur était la vie, si les secondes qui ne s’écoulaient pas malgré les supplications, si les moments où, tenaillé par une faim humiliante, je mâchais du soja avarié, c’était la vie, la mort devait être comme un coup de pinceau qui faisait disparaître tout cela. » (p129)