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Citations sur Les malheurs d'Amangoua (10)

Tout le monde est fonctionnaire, depuis l'élève des écoles, l'étudiant, jusqu'aux chefs de canton. Ils croient fermement que rien n'existe au-delà du prestige que confèrent les places et titres de la fonction publique : car l'administration offre à ces évolués la plus sûre des garanties. Les salaires sont minimes, mais on est sûr, disent-ils, de manger à sa faim, jusqu'à la retraite, jusqu'à la mort. Cela ne vaut-il pas mieux que l'aventure du privé où l'on se trouve constamment exposé aux humeurs changeantes d'un chef autoritaire, de même qu'aux aléas d'une affaire aux buts incertains, vouée à une faillite certaine ? L'Africain est administratif au plus haut chef. Rien de tel aussi, pour briller aux yeux des frères de brousse, Abreba !
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La salle à manger est modeste, mais bien garnie. Ce qui frappe surtout, le décor : tentures, noire et rouge ; au mur des cornes de gazelle travaillées par des cordonniers du pays. Suspendues, également, comme de rares trophées, de petites défenses provenant de jeunes éléphants fraîchement abattus. Le buffet est encombré de fruits de toutes origines : bananes, oranges mûres à peau jaune ou verte, pommes, poires, raisins ; les avocats ainsi que les bananes s'amoncellent. Sur une sorte de divan est posé un gros bouddha de bronze ou de cuivre. Dans la salle à manger donnant sur un grand salon, d'autres objets d'art sont suspendus ou posés, en vrac, mêlés à d'autres statuettes, attendant peut-être d'être mieux utilisés ou agencés. Les invités, ainsi que la famille Tombeur, sont déjà à table et bavardent en des discussions très animées. Une seule absence, la mère Tombeur, retournée sans doute en Europe soigner son foie, ou son rhumatisme ?
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— Comment as-tu pu venir ici ? interroge Amangoua.
— Une femme qui aime trouve toujours les moyens, dit Makon.
— Qui t'a indiqué la route ? Comment as-tu su que j'étais ici ?
— Comment je suis venue ? répond Makon. J'ai appris que tu avais attrapé une maladie grave, que tu allais mourir ; tu vas nous quitter ! Alors j'ai eu peur, je t'ai cherchée partout, j'ai voulu te suivre et te soigner comme je peux.
— Et qui t'as dit que j'étais ici ?
— Un de tes camarades.
— Julien ?
— Je ne sais pas son nom.
— Et tu as laissé comme ça, tes affaires, tes parents, ton commerce...
— Te suivre, je te dis, savoir où tu es, ce dont tu souffres. J'ai vendu mes affaires, quelques pagnes, mes bijoux, pour avoir un peu d'argent sur moi, pour acheter des médicaments s'il le faut, pour te guérir. Ta maladie m'a effrayée, je te dis, et je suis venue auprès de toi.
— Allons dans ma chambre, dit Amangoua, en la prenant par la main. On va s'expliquer mieux.
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La clairière est un petit paradis ! vastes espaces gazonnés d'où la vue s'étend, loin devant soi, prés verts où viendraient stationner quelques caravanes assoiffées par les distances. Tout autour, les collines s'étagent en amphithéâtres dans le lointain, découpant des ciselures sur l'horizon. On croirait voir comme une éolienne se profiler et tourner dans le vent, surmontant des toits de chaume, de tôles, de briques. De cet emplacement l'on peut voir, distinctement la villa des Tombeur, perchée sur une crête, vers les hauteurs au loin. C'est au pied de toutes ces montagnes environnantes que la plaine se déroule avec tout le velours qu'on lui connaît. Ici, la savane s'étale, large, parfumée, piquée de thyms sauvages ; des rôniers solitaires voisinent avec d'autres arbres géants à l'ombre desquels ont poussé des baraquements où des femmes bavardent ; certaines sont assises ou couchées sur des nattes de raphia ; d'autres improvisent des cuisines hâtives, des manières de repas froid : les hommes de leur équipe étant là, elles s'empressent de terminer les repas mijotant sur les feux.
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Les jeunes, eux, sont de retour des champs, couverts de boue ; ils se dirigent vers le fleuve, la serviette sur l'épaule, à la main, l'éponge fibreuse, truffée d'un savon noir, pendant que les adultes et chefs de famille attendent l'eau tiède préparée à leur intention derrière les cases pour le bain quotidien, et que sur les feux, les foutous s'apprêtent. Et tout un peuple va, vient, siffle, parle ou rit dans ce désordre crépusculaire, petit monde campagnard oublié des villes civilisées, petite vie tranquille et plus sage, peut-être, en marge de la société des voitures et des voilures, des toits en tôles ondulées, des gratte-ciel, du chemin de fer poussif, de la banque accapareuse, et, pourquoi pas, de la politique ?
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Imaginez une sorte de début de ferme rudimentaire posée au faîte d'une hauteur. À gauche, un chantier d'exploitation de bois : une bille d'acajou traîne, abandonnée — on n'a pas pu la scier — qui s'enlise dans la poussière de ses écorces, un terrain vague, sans propriétaire ! À droite, la futaie, la brousse immense. Au centre, un semblant de route qui monte, et vous mène péniblement dans une espèce d'État miniature installé dans les arbres. La route est bordée d'herbes hautes d'où, çà et là, s'élancent des avocatiers, des corossoliers, des orangers, étonnés d'être là. Au loin, dans le fond, des palmiers, encore des palmiers, toujours des palmiers géants qui ont l'air de toiser toute la faune d'alentour. Enfin des cases. Une vingtaine de cases en latérite, formant un demi-cercle, face au fleuve. Cases rondes mêlées aux cases quadrangulaires, sans aucun souci de symétrie. Loin d'ici les calculs de la géométrie, l'architecture et ses prix !
Une fantaisie néanmoins : le toit de case se prolonge en casquette. C'est le préau, soutenu par de gros bambous de Chine et des fûts. Sous le préau, des claies couvertes sur lesquelles on a étendu des fèves de cacao, cafés et autres graines multiformes qui sèchent doucement dans les fumées, en attendant le soleil.
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Nous avons laissé le campement, bien loin les feuillages, dans le Ono. Revoici Bokadan : parcourons ses coteaux, le dôme où pointe le phare d'Impéria, le quartier résidentiel avec ses boîtes postales, ses villas somptueuses que grimpent les bougainvilliers en fleurs ; ses larges avenues bordées de flamboyants à pétales rouges, aux fruits en forme de haricots géants. Visitons le quartier commercial, son marché nauséabond ; les quartiers misérables des banlieues aux masures faites de tôles rouillées, de planches disjointes et de cartons mal assemblés ; les étalages ventrus ; les artères et terrains vagues ; puis brusquement, les palaces, voisinant avec des magasins de luxe et de véritables taudis comme pour illustrer l'invariable cohabitation du pauvre et du riche pour une querelle ou un dialogue éternel. Bokadan ! ses faubourgs indigènes, Harlem d'un autre modèle, avec ses bidonvilles, ses nids à rats, ses routes poudreuses, ses marchands de bibelots, de savates ou de pacotilles, accrochées aux angles des rues...Voici des tailleurs autochtones installés le long des voies, coupant des tissus, donnant force tours de manivelle, coulant publiquement sur le corps de leurs clients leur mètre à ruban. Et maintenant, la banlieue noire, lointaine, multiforme, avec ses concessions : groupes de plusieurs cases de même style, toutes logées dans un enclos comportant une cour sableuse, un puits, des cocotiers et des hangars...
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Qu'il ait été convaincu par Julien, il n'est pas encore temps de le dire. Sachons simplement qu'Amangoua était touché jusqu'aux cordes vives de son âme pendant cette visite à Julien, visite très utile entre mille. On pouvait lire sur son visage tout son embarras dans cette semi-obscurité quand son ami, son conseiller, avec sa lampe-torche est venu l'accompagner jusqu'à la rue noire qui longe son domicile. Des grands feux de bois d'il y a quelque temps, il ne reste plus à présent que braises à demi-éteintes, monticules de cendres, charbons fumants et, au hasard, une flamme solitaire qui papillote...
Amangoua, comme un fantôme, marchait maintenant seul dans la nuit, frôlant les palissades comme un homme ivre ; la tête pensive, il avait l'allure de quelque vieil anachorète égaré dans les ténèbres...Clignotant, le phare d'Impéria venait de temps à autre éclairer sa route. Les premiers coqs commencèrent à chanter quand il arriva chez lui. Pénétrant dans la case de son père à cette heure inhabituelle, Amangoua pour une fois de sa vie avait osé troubler le sommeil paternel.
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Il fait nuit. Le phare d'Impéria, faubourg résidentiel de Bokadan, est allumé ; une lumière tournante et fuyante. Elle vient de temps à autre éclairer les routes sombres, les concessions mal éclairées. Là-bas, toutes les lampes se sont allumées, lampes à pétrole dans les cases, lampes à carbure, à acétylène, dans des maisons ; toutes les lumières, selon le niveau social des uns et des autres, comme des yeux sur la face noire de la nuit. Alors, il y a comme deux firmaments : des étoiles dans le ciel, des étoiles sur terre, les lampes ; un ciel en haut, un en bas ! Et le phare continue à rouler sa lumière ; comme la nuit est belle tout de même !
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Des palétuviers ; encore des palétuviers aux mille et une racines aériennes. C'est à ces mêmes racines que les pêcheurs du village de Moossou accrochent leurs nasses et paniers à crevettes. Et voilà qui, ouvrant leurs flancs d'osier dans les roseaux, attendent d'avaler quelques crabes noirs ou bleus, étourdis par les eaux. À perte de vue l'eau s'étale, d'huile. Là-bas, des surgissements de granit ressemblent au loin à des dos d'hippopotames qui sortent de l'onde, émergent. Plus loin, encore, et ce sont des blocs de pierre véritables, annonçant les rapides mortels. Ce fleuve Comoé est beau, n'est pas commode !
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