« Mangeoire »
Attendez ! Ne mangez pas tout...
Je vais aux festins où l'on dévore l'Afrique.
J'en vois qui tordent ses jambes écartées, rôties,
J'en vois qui déchirent sa lèvre tendre,
Arrachent ses yeux avec des doigts gourmets
Arrêtez ! Arrêtez !
Qu'on me garde une place aux festins africains.
Je veux me tailler un morceau de cette chair qui palpite
Pour en faire un étendard au bout de mes fourchettes...
J'en connais...
Qui prononcent des noms d'Afrique
Avec un appétit féroce, vorace et vainqueur.
Non ! Trois fois non
Ce n'est pas cela l'amour, l'amour
C'est le pied sans soulier qui a besoin de sandale.
C'est la case à chapeau
Qui a besoin de balais ou bien autres choses — que sais-je ?
D'une lampe à pétrole au moins
Dans un siècle où l'atome est maître !
Cette Afrique-là, je cherche en vain,
Qu'on me la montre. Ou qu'on l'invente. Aïe !
J'ai comme soif d'un acte sans intérêts
Sans titres.
Simplement, parce qu'il est beau, bon,
Solitaire et grand.
Mon frère !
« Vieilles lettres »
S'il m'est encor
Dans ce monde bancal
Et croulant
Des heures sans nombre
Où, comme de vins, saoulent les souvenirs,
C'est bien à vous, vieilles lettres,
Que je dois ces plaisirs,
Ces feuilles jaunies,
Que le temps me conserve,
Vous, vieilles lettres témoins de mes jours,
Je vous défais et redéfais, comme des corsets
Tout neufs...
Je vous déplie, relis et redéplie.
C'est ma vie qui s'envole ainsi,
Feuille à feuille,
Fixée par un noir liquide
Au cadran de mes souvenirs...
Vieilles lettres, vous êtes mes amies, mon génie.
Ma jeunesse, mes illusions...mon diable !
Vous êtes ces regards qui m'ont séduit
Un soir, un jour dans un coin, dans le noir.
Vous êtes ma fièvre, mon inconstance,
Vagabondages chéris ! Est-il vrai
Que tout vagabonde dans le monde
Sans autres buts que l'amour, la chair, le sang,
Le plaisir ?...
Vieilles lettres bénies,
Dormez en paix dans les anges
De mon cœur !
« Ama de Grand-Bassam »
Ama,
Ta poitrine me rappelle
Me rappelle la papaye mûrissant au soleil
Ta hanche fait fondre la neige
Dessus un toit...
Les hibiscus en fleurs écartent leurs jupes rouges
Sous les rayons que je projette
Quand je flaire une senteur qui m'encercle et
M'enveloppe, pareille à un pagne !
Chaque pas que tu imprimes aux sols
Musique et soulève une partie de ma vie.
C'est ce vin qui me saoule aux reins de l'été
J'ai des envies de t'ouvrir
Ma chère !
Ou de glisser mes doigts
Dans l'urne de ta chair.
« Paravents »
Mon père...ce front soucieux,
Paravent !
La tête qui se penche en avant,
Paravent !
Médailles, qui brillez aux cieux,
Paravent !
Messieurs affairés ou tranquilles,
Paravent !
Le fouet qui claque et siffle,
Paravent !
Charlatanerie des écoles,
Paravents !
Roulements de tambour et d'épaules,
Paravents !
Paroles qui chantez à l'oreille,
Paravents !
Bijoux rutilants au soleil,
Paravents !
Sourire, parure, fourrure,
Marteaux, enclume, équerre...
Paravent !
Paravents ! Paravents !
Derrière vos rideaux étoilés ou fleuris,
Vous cachez bien des choses, paravents !
Mes yeux se glissent dans vos plis.
Je filtre, virus et vous suis,
Dans vos mille et mille replis, mon esprit !
J'enjambe vos rectangles complices
Et découvre, Bon Dieu !
Des monstres béants, grouillants, pendants et boitants
Comme-ci, comme-ça,
Microbes qui errez et tournoyez derrière
Ces paravents...
Je flambe.
« Femmes âgées »
Je vous ai un soir appelée maman
En vous tétant. Car sur vos flancs vallonnés
Par le temps, j'avais oublié mon âge !
Vous en diriez autant.
Au front les étés vous ont laissé
Quelques traces, vainqueur ?
Je vous aime pour cela ma mère.
Vous résistez aux soleils.
Et puis, quand vous chantez des airs anciens...
Je les aime aussi parce que je ne les ai pas connus.
Chantez !
Chantez encor, vous savez encor chanter !
Femmes âgées !
Plus que des rossignols vedettes ou sirènes,
Aux printemps de vos trente ans...et plus
Ce bel air, je l'apprends en vous...
Je vous ai un soir appelée maman,
J'oublie parfois mon âge
Pendant les soirs troublants !