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Les yeux plein de terreur, le garçonnet comprend qu'il a été vaincu. La cruauté vient de là, de cette compréhension qu'il a des événements, de ses conséquences, quand ses camarades ne disposent que d'un instinct stupide qui les avertit d'un danger probable. La sentence a les aspects d'une mort douce, et lente, et qu'on pourrait décrire en un retour, provoqué par neurochirurgie, vers l'état de bêtise que connaissent les autres élèves. Une voix, pourtant, celle du narrateur, a tenté de l'avertir, de le sauver du danger. La voix était celle de l'espoir, celui d'une vie fondée sur la raison, et celui d'une autre société, qui garantirait la liberté des hommes ainsi que leur capacité de réflexion et de former opinion. Las, ces espoirs s'envolent, ou plutôt s'écrasent, et il faut alors, pour ce mystérieux et ambivalent narrateur, recommencer sa quête et la formation d'un esprit, un seul, qui reprendrait le flambeau. Voici l'un des quinze contes que nous propose Ersin Karabülüt, jeune auteur turc à l'oeuvre déjà dense. Quinze contes, donc, courts et intenses, dystopiques en ce qu'ils semblent se dérouler dans une réalité parallèle à la nôtre et qui, pourtant, paraît partager avec cette dernière de nombreux points communs. Les maux de nos sociétés contemporaines, ses peurs, ses obsessions, y sont traduits avec brio dans des situations qui provoquent une nécessaire réflexion sur l'état de notre monde. de la relation amoureuse à la prédestination sociale en passant par, au choix, l'usage de la peur par les pouvoirs politiques, le culte de l'égoïsme ou l'isolement quasi psychopathique de certaines personnes, l'auteur turc paraît bien pessimiste - le titre parle d'une société résignée, donc sans espoir - quant à l'avenir de ce monde. Son dessin, à la fois réaliste et caricatural colle bien aux intentions de l'auteur : déformer la réalité pour que nous en prenions mieux conscience.

La couverture annonce la couleur. Une famille - une femme, un homme, une enfant - s'apprête à sauter dans le vide depuis le toit d'une maison. Tout autour d'eux, depuis les immeubles voisins, des femmes et des hommes ont déjà choisi ce triste sort. La femme jette un oeil derrière elle, sur le lecteur que nous sommes, comme pour le prendre à témoin de sa détresse. Détresse dont on pourra, au fil des pages et des contes, mesurer l'aspect protéiforme, révélateur des maux de nos sociétés. Car, loin de s'en tenir à la seule société turque, Ersin Karabülüt analyse plutôt une époque dans toute ses dimensions politiques, sociales, culturelles ou encore technologique. le ton est volontiers caricatural, presque obscène. Rien n'est épargné au lecteur, ni les scénarios chocs, ni les images crues. le trait se fait l'écho de cette ambition : dans une veine réaliste, Ersin Karabülüt dessine des personnages dont la laideur morale transparaît sur leur image physique. Les scènes les plus ordinaires de la vie quotidienne détiennent en elles quelque détail inquiétant ou horrifique, et il n'est pas un conte qui se termine d'heureuse façon. le ton, donc, est fataliste ; sans doute est-ce là une manière forte de nous mettre en garde contre les tourments qui nous attendent et qui sont, déjà, parmi nous.

Au centre de ces histoires, on retrouve des personnages bien souvent isolés que les circonstances vont mettre au pied du mur, ou aux prises avec un grand danger. A première vue, pourtant, ces personnages ne sont pas seuls. Maris et femmes, enfants, parents, amis ou camarades les entourent. Mais le danger provient bien souvent de ces individus si proches. Ainsi dans Mortelle apparence, un jeune homme raconte que son frère, au crâne déformé à la naissance, a la capacité de prendre n'importe quel visage, et que ce frère a pris pour habitude de prendre son visage pour mener une vie normale, conduisant à l'effacement du narrateur. Dans Une vie à crédit, des enfants tentent de tuer leur grand-père au motif que celui-ci consomme des crédits de vie, attribués en bloc au sein de chaque foyer. L'isolement familial est parfois plus pernicieux. Dans La chose au plafond, une vie de couple se fissure et se détériore lentement, au rythme de la progression descendante d'une étrange formation phallique depuis le plafond de leur chambre. L'amour, on l'a compris, est depuis longtemps une valeur déclassée. de l'or dans les mains parle tant de prédestination sociale - les enfants se voient attribuer un métier alors qu'ils sont encore à l'état de foetus - que d'effondrement des valeurs familiales : une naissance n'est heureuse que si la voie du futur enfant est favorablement tracée. Un met des plus exquis raconte la passion pour le moins pathologique d'un livreur de repas pour l'une de ses clientes. Même dans Une journée superbe, l'amour entre un jeune homme et une femme prend des allures de film d'horreur. Égoïsme (Le fantôme de l'innocence) voire égocentrisme (Aimez-vous les uns les autres), narcissisme, drame de l'isolement (Une drôle d'affection), atavismes psychopathiques (Une famille nombreuse), manipulations individuelles ou collective (Les vertus de l'épouvantail), Ersin Karabülüt passe en revue nos lubies les plus malsaines, nos comportements les plus ordinaires et pourtant les plus tragiques dans lesquels, d'une manière ou d'une autre, chacun pourra se reconnaître. L'auteur montre ainsi que l'égoïsme banal peut tuer, tous les jours, d'innocentes victimes, que l'amour qui rend aveugle ne rend pas nécessairement beau, que notre obsession de notre propre image peut nous tendre infiniment stupide ou encore que nos peurs, essentiellement, nous gouvernent. L'horizon est sombre, le tableau ne donne guère envie. La piqûre de rappel est certes douce - il ne s'agit que de tourner les pages -, et cependant brutale. Mais, à nous résigner, ce serait peut-être pire.
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Au final, je mets quand même un 4/5 pour cette BD, parce qu'elle a quand même de sacrés atouts pour elle et que je dois reconnaître qu'elle marque. C'est rare les BD qui me répugnent à la relecture parce qu'elle est trop dérangeante, mais celle-ci en fait partie.

J'avais été attiré par le titre et la couverture, mais il s'agit de différentes sortes de récits à l'intérieur. de l'anticipation pure (notamment sur le plan social), de l'actualité détournée, des dérives politiques... Tous les genres de l'anticipation sont englobés. C'est grince-dent et cynique, horriblement cynique. En soi, je ne pense même pas qu'on puisse le ranger dans la catégorie humour, tant c'est noir de récit.
Mais là où l'auteur fait fort, c'est dans la dénonciation de tous les travers sociaux. Il ne représente pas l'humanité sous son meilleur jour, mais laisse toujours une place à l'espoir. Place minuscule, certes, mais qui fait la différence dans plusieurs récits.
Les métaphores abondent également, parfois très facilement reconnaissables, parfois plus subtiles. C'est plutôt bien trouvé dans la plupart des cas, et j'ai beaucoup apprécié le mordant qui s'en détachait.

Si je dois faire ma fine bouche, je dois reconnaître que certains récits sont plus anecdotiques que d'autres, mais la plupart proposent des idées assez fortes et des développements originaux. J'ai une préférence particulière pour "Un mets des plus exquis" ou "Aimez-vous les uns les autres" qui parvient à merveille à faire ressortir toute l'absurdité de l'être humain, qui, devant une nouvelle à faire dresser les cheveux sur la tête -banaliser le commerce de viande humaine- tire une satyre féroce sur le marché que cela développe et la reconnaissance par le prix de sa viande au kilo. Glaçant d'effroi et parfaitement bien traité.

Le dessin est très bon, même s'il change assez souvent d'une histoire à l'autre. Je suis un peu gêné parfois par les innombrables bulles que l'auteur fait tourbillonner autour de la tête de ses personnages, mais en dehors de ça je reconnais un sacré coup de crayon.

C'est probablement la première fois que je lis une BD turque, mais si les autres sont du même acabit j'ai hâte de les découvrir. En tout cas, si vous n'avez pas peur du cynisme, de la noirceur et du grince dent, ruez vous sur cette petite merveille. C'est inattendu et parfaitement dans l'air du temps !
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Après avoir lu le premier album d'Ersin Karabulut, je ne pouvais qu'avoir envie de découvrir son premier. le ton satyrique, acerbe, militant y était déjà. Rien que la couverture nous indique vers quoi nous nous engageons ...

Les 15 contes de Karabulut sont bien loin des contes enchanteresques , ils sont terrifiants car posent un regard pour le moins pessimiste sur la société "future". Si le côté terrifiant prend le dessus sur l'aspect loufoque c'est parce que la projection sur ce futur ne semble pas complètement délirante ou encore à des milliers d années de ce que l'on vit. Il y a des prémices dans ce que l'ont vit . le regard de Karabulut sur la société turque est bien pessimiste mais aussi elle donne à faire prendre conscience des dangers de nos politiques, de la direction qu'on nous impose à suivre. Il faut réagir vite sinon, les choses qui peuvent paraître lointaines dans cet album risquent de devenir notre réalité rapidement "Aujourd'hui, tout est gris.... sauf le ciel. Il a gardé ses teintes d'origine. Mais pour les voir... il faut réapprendre à relever la tête !
La dernière planche fait inévitablement penser à Bosch. Sinon les dessins ne sont pas franchement ce que je qualifierais de beaux mais ils sont très travaillés et collent à merveille aux récits.
J'ai bien conscience et je comprends tout à fait que ce type de BD ne peut pas plaire à tout le monde, ce n'est pas grave mais il faudrait au moins que les gens puissent la lire pour aiguiser leur sens critique.
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Cette BD est une pépite!
J'ai énormément aimé les sujets, les dessins, la critique de la société, le cynisme de l'auteur. Les sujets sont très variés, parfois drôles, parfois effrayants, mais tous marquants.

Une excellente découverte que je recommande!
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Conte ordinaire d'une société résignée est bien loin des plaisanterie habituelle diffusée par Fluide Glaciale. Cet bande dessinée, une satire de la société occidentale, est plutôt sombre et souligne nos travers, nos déprimes et ce, de manière subtile et intelligente.
Vous retrouverez dans cet album d'environ quatre-vingt pages, quinze histoires sans lien direct mais j'y ais trouver une certaine logique dans la suite des histoires. le tous est dark mais mérite réflexion a chacune d'elle. Il y a une ou deux histoires que je n'ai pas vraiment apprécié mais surtout parce que je ne suis pas certaine de la "morale" présentée.
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Des historiettes à l'humour grinçant et noir. Elles soulèvent des problèmes de société pas toujours drôles de façon décapantes. le thème du grand père de la famille qui refuse de mourir revient souvent, j'ai bien aimé celle du centenaire agonisant qui demande à s'inscrire dans une école d'ingénieur avec l'argent économisé pour ses funérailles. Mais dans l'ensemble, cette vision sordide et glauque de la société dérange et met mal à l'aise.
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Avec un humour extrêmement noir et satirique, Ersin Karabulut nous livre sous forme de contes très (très très) décalés (loufoques, dérangeants même parfois! ) sa vision d'une société où les rapports humains sont totalement biaisés, la politique est plus que jamais un moyen d'abêtir et contrôler les gens et où les jeunes sans perspective ne s'y retrouve plus.

On l'aura compris, même si les mises en scène et la narration sont amenées à faire sourire le lecteur, les sujets ne sont pas réjouissants pour autant.

Pas étonnant que les éditions Fluide glacial se soient emparés de ce récit. En revanche, ce que je comprends moins c'est pourquoi cette bande dessinée n'a pas bénéficié d'autant de "pub" que nos petits Français de "Faut pas prendre les cons pour des gens", le propos de cette BD turque étant universel.

Bref, le seul petit bémol que j'émettrai sur cette BD est l'impression de trop plein de glauque, de sombre, ajoutée par le graphisme. Il me semble que le récit se suffisait à lui même et que les regards vides ou hébétés, les couleurs fades , tout cela fait "trop". Mais bon, cela reste enrichissant de voir le regard d'une personne ne vivant pas en Europe porte sur le monde actuel.
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J'attendais beaucoup de ce conte au vu des critiques assez élogieuses dans la presse. Je suis fort déçu car je n'ai pas ressenti quelque chose de fort. Certes, c'est assez bien dessiné et colorisé dans un format de qualité.

Cependant, ces petites histoires assez cyniques ne me parlent pas. Elles sont trop bizarres et loufoques. J'en perçois à peine le sens pour certaines d'entre-elles. Il est vrai que l'humour noir n'est pas ce que je préfère.

Pour autant, je conçois tout à fait que cela pourra plaire à un public plus avisé et sensible à ce genre.
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Dérangeant pour le moins sont ces différents contes d'une noirceur profonde.
Difficile d'apprécier quand cela dérange autant, je salue l'auteur et son imagination débordante mais...ce n'est pas ma tasse de thé.
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Recueil de fables, de contes en bande dessinée. C'est drôle, mordant, cruel, noir. Il y est question de la place de la femme dans une société patriarcale dans laquelle c'est l'homme qui doit rapporter l'argent à la maison, d'enfance, des conflits de génération, du chômage, de l'accès à l'instruction, à la culture, de l'apparition de nouveaux virus. Les sociétés de Ersin Karabulut sont dystopiques, utopiques, carrément flippantes et pas vraiment souhaitables. Il pousse le raisonnement et les dérives de nos sociétés actuelles à leur paroxysme : pourquoi sauver un enfant si cette bonne action nuit à sa carrière professionnelle ? Pourquoi ne pas vendre son corps si cela sert la notoriété, posthume certes, mais notoriété tout de même ? Et si la lecture et donc l'ouverture d'esprit, la curiosité devenaient des défauts à combattre ?

Les histoires dérivent vers le fantastique parce qu'en déroulant son raisonnement et en le poussant on arrive à des comportements qui, pour le moment, nous paraissent décalés et très loin des nôtres, mais qu'en sera-t-il dans vingt, trente ou cinquante ans ? C'est une critique sévère, une satire sociale et politique sans voile. C'est diablement bien fait et le graphisme qui peut changer d'une histoire à l'autre augmente le plaisir. Les scénarios sont inventifs et violemment critiques. Ersin Karabulut, que je découvre avec cet album, est un bédéiste de talent.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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