On donnait à un homme un coursier de Sardie pour le récompenser immensément. On lui en donnait quatre ou cinq pour l’élever au-dessus de ses pairs, lui faire tutoyer l’échelon supérieur – et lui gagner la jalousie, parfois mortelle, de ceux qui montaient les chevaux des steppes, plus trapus.
La princesse Cheng-wan, impératrice consort du Tagur depuis vingt ans de paix, venait de lui accorder, avec autorisation, deux cent cinquante chevaux-dragons.
C’était le chiffre exact. Tai le relut une fois de plus.
Il est toujours difficile, même avec la meilleur volonté du monde, d’examiner le passé lointain en espérant y discerner un semblant de vérité.
Qu'il s'agît des prédictions de l'École de la nuit infinie à Xinan, des élixirs et des incantations des alchimistes, ou des rituels plus sombres, plus sanglants, observés de par ces steppes avec des miroirs et des tambours... la magie avait le don de mettre mal à l'aise.
Il eut un brusque frisson sans savoir pourquoi. Dans les histoires que lui racontait sa nourrice, on frissonnait ainsi quand quelqu'un marchait sur la terre où serait un jour creusée sa tombe. Qui ne frissonnait jamais de la sorte était condamné à mourir dans l'eau ou à ne jamais être enseveli.
Le devoir, la volonté de tout assumer seul trahissent parfois l'arrogance. La conviction que l'on pourrait savoir ce qui doit être fait et s'en charger correctement. Il est impossible de connaître l'avenir, mon ami. S'en imaginer capable relèverait d'une rare prétention. Et le monde n'est pas plus brisé aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été.
Le monde vous offre parfois du poison dans une coupe incrustée de pierreries, ou alors des présents stupéfiants. Il n'est pas toujours facile de distinguer l'un de l'autre.