Un silence bien choisi en dit plus long que bien des mots.
Les femmes ont toujours été plus habiles que les hommes à l'exercice de la subtilité.
La croisée des chemins. La ronde des jours, des saisons et des années. La vie offrait parfois l'amour, souvent le chagrin. Pour qui avait la chance, une amitié sincère. De temps à autre, la guerre éclatait. Chacun faisait ce qu'il pouvait pour modeler sa propre paix avant de se fondre dans la nuit et d'abandonner le monde comme tous les hommes, illustres ou oubliés, ainsi que le permettaient le temps et l'amour.
Elle se retourna sur sa selle. Aussi loin que portât son regard sous le soleil levant et le ciel inaccessible, l'herbe régnait, d'un vert foncé ou tirant sur le jaune. Haute, elle ondulait sous la brise dans un bruissement qui l'accompagnait depuis que les Bogü l'avaient emmenée. Même dans son palanquin, elle l'entendait en permanance. Le mumure de la steppe. Tournée vers le nord, elle s'emplie les yeux du panorama en se demandant jusqu'où il s'étendait. Si le monde a connu un matin, il ressemblait à celui-là, pensa-t-elle.
Ni le poète ni la Kanlin ne le nieraient. Ils n'essaieraient même pas. Bonne ou mauvaise, c'était une vérité de leur monde. Elle en faisait autant partie, cette rigidité restrictive, ritualisée, inébranlable, que la poésie, la soie, le jade sculpté, les intrigues de cours, les étudiants et les courtisanes, les chevaux célestes, la musique du pipa et les cadavres gisant à ciel ouvert par dizaines de milliers sur un champ de bataille.
Les temps sont toujours durs pour ceux qui les vivent.
Il lui vint une idée. Parfois, le vin guide les pensées le long de canaux qui restent insoupçonnés à jeun, tout comme les roseaux d'une rivière dissimulent puis révèlent un affluent dans les marais.
Les chamans se divisent en deux catégories : blancs et noirs. Cela dépend de leurs rapports avec les démons du monde des ténèbres dans lequel ils pénètrent après avoir abandonné leur dépouille charnelle. Ils peuvent soit chercher à les séduire, soit engager le combat pour les forcer à coopérer. Oui, certains sont des femmes.
La vieille, si vieille histoire de peuple kitan et de ses rivalités. De petits royaumes combattants hier, des hommes et des femmes ambitieux se jalousant à la cour impériale aujourd'hui. Gouverneurs militaires, préfets, mandarins s'élevant dans les neuf rangs, dignitaires religieux, eunuques des palais, conseillers juridiques, impératrices et concubines, et ainsi de suite... Tous luttaient pour une place éminente autour de l'empereur, qui était le soleil.
Sous la lune ou les étoiles, le monde appartient aux esprits.