Aimer, tome 1 : Jay

— Je suis cassé, ou quelque chose comme ça.
Aaron enfila un nouvel appât sur sa ligne et la jeta dans l’eau.
— Je ne pense pas du tout que l’accident t’ait bousillé, Liam. Pour être honnête, même en grandissant, tu n’as jamais apprécié les filles avec la même intensité que moi.
— Non ?
C’était une première pour moi. Bon sang ! Et si j’avais été gay tout du long et que personne n’avait jamais pris la peine de me le signaler ?

— L’autre jour, tu as dit que tu ne savais pas si tu étais gay. Que tu « explorais tes options ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
La sensation agréable du sommeil disparaissait rapidement alors que je devenais soudain hyper-conscient de notre position.
— Euh…
Je baissai le regard et tombai dans l’étendue brune et profonde de ses yeux. Il se lécha les lèvres et murmura :
— Est-ce que… ça t’intéresserait… d’explorer tes options avec moi ?
Son visage se trouvait à quelques centimètres du mien. Il n’était pas difficile de réduire la distance entre nous et de presser nos bouches ensemble.
— Oui.

Louper le premier train du matin, cela signifiait également que je ne verrais pas Jay. Mais je n’allais pas penser à cela. Parce que je n’étais pas gay. Je ne faisais pas attention aux autres garçons ; je ne bavais pas sur eux ; je n’avais pas hâte de voir leur beau visage chaque matin ; je ne rêvais pas d’eux chaque nuit ; et je n’avais clairement pas une érection en pensant à un visage en particulier. Non ! Pas gay du tout.
Du tout.
Déni, déni, déni. Continue à dire que tu n’es pas gay jusqu’à la fin des temps. Exact ? Je n’ai jamais vraiment compris cette expression – jusqu’à la fin des temps. De quel temps ? Peut-être simplement la fin de la journée ? Stupide.

— Liam ?
— Ouais ?
— Tu peux m’appeler Jay. J’aimerais ça.
Et comme un spectre, il entra dans le bus et je le perdis de vue.
Je souris sans m’en rendre compte et j’étais certain de ressembler à un complet idiot. Je pouvais l’appeler Jay. Il aimerait que je l’appelle Jay. J’allais le revoir, demain.
Puis, je pris soudain conscience de quelque chose. J’étais tellement gay.

— Et toi, Liam ? As-tu rencontré quelqu’un que tu aimes ?
Jay.
Pendant une seconde horrifiée, je pensai avoir laissé échapper le nom à voix haute. Mais heureusement, personne ne réagit, donc ce n’était pas le cas. Malgré tout, son image flotta devant moi : une image de bon goût, étant donné que je me trouvais dans la maison de mon père, après tout. Je pouvais voir Jay, avec son pantalon écossais à vomir, sa tête penchée comme s’il réfléchissait à quelque chose que je venais de dire, ses cheveux plaqués vers l’arrière comme une vieille star de cinéma, ses jolis petits diamants aux oreilles, son mocha au lait écrémé avec seulement un demi-sucre, s’il vous plaît.
Je me détournai pour cacher mon sourire, mais les mères ont des yeux qui voient tout. Elle laissa échapper un petit cri.
— Liam Gregory Turner. Tu as rencontré quelqu’un ! Dale, vite, attrape-le et ramène-le ici pour qu’il me dise tout.

Alison leur répondit à tous les deux.
— Votre mère dit que Liam est gay. Liam dit qu’il n’est pas gay.
— Vraiment ?
Ben, encore une fois. Est-ce qu’il doutait vraiment de moi ?
Mon père rattrapa enfin la conversation et s’interposa, indigné et caustique.
— Bien sûr que Liam n’est pas gay. Aucun de mes fils ne sera gay.
Oh, oups. J’imagine que je ne suis pas gay, après tout. Désolé, les gars !
Ce fut Dale, de l’autre côté de la pièce, qui prit mon parti. Non pas qu’il sache qu’il était vraiment en train de me défendre, du moins je ne le pense pas. Ce n’était que par principe.
— Papa. Tu ne peux pas dire ça. Tu ne peux pas changer ce que nous ressentons si nous sommes gays.
— Je m’en fiche. Je refuse d’avoir un fils gay, et c’est la fin de cette discussion.

Je pourrais te rejoindre pour qu’on mange un hamburger ensemble ?
— Ah…
— Pas de pression. Juste deux amis qui déjeunent ensemble. Est-ce qu’il y a un endroit où tu aimes aller ? C’est moi qui t’invite !
Juste deux amis qui déjeunent ensemble. Déjeuner. Je pouvais déjeuner avec Jay sans que quiconque ne soit suspicieux, n’est-ce pas ? Nous étions amis. Et comme Jay l’avait dit auparavant : « est-ce qu’un homme gay ne peut pas avoir d’amis hétéros » ? Non pas que je sois vraiment hétéro, désormais. Je ne pensais pas. Ce n’était pas comme si déjeuner avec un homme gay vous rendait gay, si ? En plus, qui me verrait ?