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Critique de Floyd2408


Après avoir rencontré Maylis de Kerangal avec Naissance d'un pont en 2010, un roman architecturale, riche d'une écriture enivrante, puis Réparer les vivants en 2013, aux éditions Verticales, récompensés par de multiples prix, ce roman d'une grande richesse émotionnelle, d'une réalité abrupte, d'un espoir de vie humainement poignante et avec À ce stade de la nuit en 2014, un texte d'une réflexion intime, de base commandé en vue d'une invitation aux quatorzième « Rencontres littéraires » en pays de Savoie tenues à Chamonix le 14 juin 2014. Cette auteure issue d'une famille bourgeoise, native de le Havre, la surnommant « La ville de ponts », distille une oeuvre poétique, sensible d'une réalité viscérale absorbante.
Kiruna titre de ce petit texte, est le nom d'une ville de la Laponie, en Suède, berçant de la plus grande mine au monde, c'est pour cette raison que Maylis de Kerangal dans le cadre du programme « Mineurs d'un autre monde » part dans cette ville pour nous livrer un reportage littéraire d'une écriture sensible et vraie, plongeant au coeur de l'homme et de la nature.
Ce court livre, au format de poche, tenant dans une main, à la couverture broché, les pages sont sur du papier Munken bouffant 80 gr, formé de 150 pages, tel un petit bloc-notes, tout petit, pour l'avoir tout prêt de soi, un petit amuse-bouche littéraire à dévorer à tout moment.
L'écriture de Maylis de Kerangal amène le lecteur dans une poésie des mots, creusant la terre glacé de cette mine en mouvement, arrachant son histoire, ses us et coutumes comme un peuple nouveau, cette manne humaine cristallise l'horizontalité de cette ville, la verticalité tinte la mine d'un chant nouveau, le mariage dramatique de cette mine de fer au confins du monde, là où le soleil joue à cache à cache avec les aurores boréales, avec cette ville pour une danse funèbre à la vie, à la mort.
Ce reportage-littéraire au coeur même de cette région minière, comme l'écrit Maylis de Kerangal murmure l'écho de Germinal d'Émile Zola, cette atmosphère sombre, poussiéreuse, d'un passé de pionnier aux saveurs de western. Il y a beaucoup de similitude entre la rué vers l'or et celle du minerai de fer en Suède, Maylis de Kerangal joue de cette ressemblance, avec ce lexique de western, ces comparaisons, comme les voitures garés sur le parking de la mine sont des « chevaux en attente attachés à la lice devant un saloon. »
Maylis de Kerangal investit les lieux comme le vent qui glace le paysage, scrutant le passé de Kiruna, refaisant revivre certains personnages, d'un passé lointain mais proche, comme Hjalmar Lundbohm Géologue administrant jusqu'en 1920 ce territoire immense de la mine et de sa futur ville, un espace humaniste, cet homme pensant à la mine comme un moteur de développement sociale, et la condition des mineurs devait être une affirmation de la dignité humaine. Puis Svarta Bjorn, l'ourse noire, cette femme à la vie de roman, une cuisinière perdue dans ce no man lands d'hommes, Maylis de Kerangal s'attarde sur cette femme pour relater de la condition féminine, de base était interdite dans la mine, puis petite à petit la direction LKAB, abroge ce décret du Worker Protection Act, de 1949, « Women must not be used for work underground in mines or quarries. », en 1978, la femme commence à travailler comme chauffeur puis se fissure une brèche pour la faire pénétrer dans le fond de la mine, de cette photo d' Ing-Marie, la première femme minière, Maylis de Kerangal laisse son imaginaire vagabonder d'un amitié probable avec cette pionnière. Puis son guide Lars, un enfant de pure souche, travaillant au département de communication de la mine de Kiruna, happer à travailler comme son père, son grand-père, comme une fatalité, malgré la mort d'un cancer du poumon de son grand-père. Cet homme est le panel des autres vivants dans cette région minière, aimantés par cette mine, reliés par un cordon ombilical, la mine est leur mère, leur offrant confort et nourriture. Cette française, Alice, géologue, guidant le forage de ses analyses, venue pour travailler dans cette mine après un stage, cette mine est comme une mini Europe, attractive, source d'un communautarisme incroyable, recevant aussi les immigrés, comme cette femme Mayella, fuyant le Congo pour vivre une vie nouvelle dans ce froid et ces nuits sans fin, s'adaptant comme tous ici, c'est un leitmotiv, un refrain, « je me suis adaptée. ».
De tous ses témoignages, un kaléidoscope ouvert à une région autonome, politiquement prisonnière de cette industrie du fer, un état dans un état, un corps vivant, son coeur est cette mine, alimentant de son sang cette ville de Kiruna, la faisant respirer au gré de ses forages. Maylis de Kerangal narre aussi le peuple Sámi, otage de cette industrie pollueuse, malgré ces efforts, où le tourisme nouveau vient se perdre dans cette ville, proche de la Laponie, un climat froid, une neige immaculée de la touche écologique, une vitrine alléchante, d'une chute certaine, avec l'effondrement de la ville, aspirée par les méandres de gallérie, tourbillonnant sous cette ville, Kiruna se meurt, une ville nouvelle nait plus loin, mais un écho fébrile vient à nos oreilles avec résonance.
« La preuve topographique que l'on est ici dans une des ruines du capitalisme. »
Maylis de Kerangal utilise l'épanadiplose narrative pour clore son texte, avec le renard blanc, laissant la mine au loin, comme un mirage humain. Ce style est utilisé dans le roman d'Émile Zola Germinal, laisse cet écho double, celui cyclique de cette ville Kiruna, de ces habitants et de la mine, et d'un hommage au roman culte Germinal.
Maylis de Kerangal charme de sa plume, une prose envoutante et vivante, laissant la mine vivre de ses acteurs, de ses créateurs, de ses légendes et de sa force. Ce reportage est riche par ces portraits, par la richesse des recherches et la forme narrative. Je retrouve ce plaisir de lecture que j'avais découvert avec son roman Naissance d'un pont en 2010.
Bonne lecture à vous.
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