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Critique de Manetheren


Qu'éclaire la lumière sinon une part d'ombre ? Voilà exactement le récit qui emmène le jeune Vadim du confort feutré de Barvikha, village richissime de la banlieue moscovite, aux anciennes lamaseries des hauteurs népalaises. Éric de Kermel compose avec La Traversée des lumières l'histoire d'un homme en quête de vie. Ne s'habillant ni d'onirisme, ni de rédemption, ce périple offre une chance à son protagoniste de se construire et de se reconstruire. Un bon livre pour sortir de ce triste hiver.


Ce roman a tout de la tragicomédie. Vadim est né dans l'URSS du camarade Khrouchtchev (imaginez l'accent, ça fait plus typique) et a la chance d'avoir pour père le puissant général Sédov. Sa situation sociale lui permet de grandir dans un milieu très favorisé mais modérément bienveillant. Son père est une brute finie et colérique qui bat sa femme. Fervent pratiquant d'échecs, il envoie le plateau de jeu à la tête de son fils la rare fois où celui-ci le bat. le jeu d'échecs est une part centrale du récit et un presque-McGuffin. A contrario, il bénéficie de l'amour profond de sa mère, Donatella, oiseau en cage, qu'il chérit en retour, avec qui il apprend la littérature française.

Vient alors la tragédie initiale par laquelle Vadim s'extirpe de ce monde. Cet acte, conclusion du premier arc de sa vie, l'envoie dans les geôles soviétiques. Il y côtoie l'élite des intellectuels et des opposants politiques. Dans sa cellule de la prison d'Abaza, le jeune homme affine sa maîtrise du jeu d'échecs. Sa réputation est telle qu'elle lui permet de devenir le champion de l'URSS dans l'affrontement avec le diabolique Occident (tiens, cette rhétorique ne vous rappelle rien ?).
Parallèlement à son jeu, il aiguise aussi ses convictions politiques. Ainsi lorsqu'il joue pour l'URSS, le monde ne voit pas son visage. Il est le "Rouge masqué". Il défait les plus grands joueurs de son temps. le livre construit Vadim comme un personnage assez pragmatique : il joue pour le plaisir du Kremlin mais seulement contre la libération de codétenus politiques. Il défend l'honneur de l'URSS mais pour pouvoir retrouver sa mère. Cette vie de contraintes est constitutive de l'énergie tragique de Vadim.

Pourtant, la lumière finit par s'enflammer. Tout commence durant ses années de lâche captivité. Par deux fois, il croise le chemin d'une jeune femme inconnue et mystérieuse. La première fois, elle lui rend l'échiquier de son père, celui qu'il avait reçu au visage, et la seconde, son carnet intime. L'année 1985 marque la fin d'une ère pour Vadim. Mikhaïl Gorbatchev souffle un vent de modernité sur l'union. le Glanost, la Perestroïka et la reconnaissance de l'indépendance des états fédérés mettent un terme au temps des contraintes. Malheureusement pour lui, cette année-là, Donatella meurt, emportant avec elle une vie de tristesse.

Alors que Vadim livre son dernier tournoi mondial d'échecs, il fait la rencontre d'une française qui le reconnaît comme Vadim Sédov malgré son masque rouge. A ce stade, il y a un personnage essentiel au récit dont nous n'avons pas encore parlé : Paul d'Ingrincourt. Jeune polytechnicien français en terre russe, il est le précepteur de Vadim. Il lui inculque la littérature française, l'algèbre, les sciences et le maniement des armes blanches. Faut pas s'étonner derrière qu'ils aillent tous chasser des ours, les mecs. Une génération perdue, je vous le dis. Bref, Paul manifeste pour son jeune élève un amour profond, que ce dernier lui rend, et qui traverse les années.

Cette française, de la part de Paul d'Ingrincourt, lui livre une vérité amère sur la mère de Vadim. Avant d'être Donatella Sédov, elle était Morgane Favenec. Jeune bretonne, elle avait rencontré un officier soviétique, plein d'avenir, mais tout ne s'est pas passé comme prévu et elle n'avait pas pu retourner en France. Vadim apprend également que Morgane avait un frère, Yann, vivant à Bréhat. Accueilli sur l'île par cet oncle, il y découvre le passé de sa mère et ses origines familiales ; il y découvre les déchirantes lettres de sa mère ; il y découvre l'océan et l'apaisement.

A l'occasion de nouvelles retrouvailles avec Paul, il est invité à des tournois et dans une championne tibétaine d'échecs, il reconnaît la jeune femme qu'il avait croisé des années auparavant et qui lui avait restitué ses affaires personnelles. Démarre le dernier acte de ce livre et de la reconstruction de Vadim. Comme je l'ai dit, ce n'est pas un livre de rédemption. C'est un roman sur un homme noyé dans un mer désormais sans repères et à qui on aura jeté une bouée stable. La Russie d'après 91 aurait pu être Vadim.

Des contreforts de l'Himalaya au Monastère de Tsarang au Népal, en passant par l'école Wiangsu dans le Sichuan, la capitale du Tibet, Lhassa, à la région népalaise du Mustang, Vadim part en quête de celle qu'on nomme Kam Yil. Sur la route, il croise de nombreux personnages touchants, des vies bouleversées par la violence, la séparation, mais des vies légères, gracieuses, et dont la bienveillance va l'entourer et l'emmener à destination. Dans les écuries du Potala, il rencontre un cheval gris indomptable. On connait le symbolisme de cet animal, monture des héros et des seigneurs. Son arrivée dans le récit ne tombe pas du ciel, car Vadim est un grand amateur de cheval. Mais non, pas de viande chevaline. Je ne parle pas que de nourriture sur ce compte pardi !

Arrivé au Monastère de Tsarang, il y rejoint Kam Yil. La rencontre avec la jeune femme va le bouleverser au-delà de ce qu'il pensait. Il va réapprendre à aimer et à aimer différemment. Derrière son histoire, derrière leur histoire, se cache un dernier secret qui se révèlera tout du long des derniers chapitres.

Le livre est décemment composé et on ne prend le temps de souffler qu'en contemplant la beauté himalayenne. On retrouve les approches récurrentes de l'auteur : la tragédie initiale, le cheval comme figure symbolique majeure accompagnant le héros, le cheminement psychologique et spirituel des personnages. C'est bien ficelé et on a l'impression d'une recette bien exécutée. Pour avoir lu aussi Les Jardins de Zagarand, c'est assez semblable au schéma proposé.

Merci à Babelio pour la rencontre, c'était très agréable d'échanger avec Eric de Kermel.
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